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Non-assujettissement à l’O.N.S.S. : fondement de la demande en justice

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 avril 2022, R.G. 2019/AB/738

Mis en ligne le lundi 14 novembre 2022


Cour du travail de Bruxelles, 25 avril 2022, R.G. 2019/AB/738

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 avril 2022, la Cour du travail de Bruxelles examine les droits à réparation, pour un membre du personnel d’une mission diplomatique, suite au non-assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés ainsi qu’au non-paiement – consécutif – du double pécule de vacances.

Les faits

Un chauffeur d’ambassade d’un Etat étranger n’a pas été assujetti au régime belge de la sécurité sociale des travailleurs salariés pour une période de dix ans (avril 2002 – juillet 2012). Aucune retenue n’a été effectuée sur sa rémunération.

En 2012, la situation est régularisée et, pour le passé, l’ambassade soumet à son personnel une convention transactionnelle prévoyant le paiement d’un forfait pour solde complet et définitif de toute la période passée, ainsi que la signature d’un nouveau contrat.

Ultérieurement, l’intéressé demande la régularisation O.N.S.S. de la période passée et adresse une mise en demeure à l’Etat.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant la condamnation de l’Etat au paiement des cotisations sociales afférentes à cette période. Ce chef de demande est déclaré irrecevable par le tribunal.

D’autres chefs de demande (arriérés de salaire, etc.) sont déclarés non fondés.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour du travail, saisie de plusieurs chefs de demande, examine en premier lieu la validité de la convention transactionnelle signée, pour laquelle un appel incident est introduit en remboursement du montant versé.

Le premier juge a en effet constaté la nullité de cette convention, considérant qu’à la date de la signature de celle-ci, le demandeur étant encore au service du défendeur et qu’en outre, sa situation n’était pas régularisée, il ne pouvait être apte à conclure des actes juridiques lui permettant de déroger à la protection légale en raison de sa situation de faiblesse.

Pour la cour, qui reprend assez largement les règles en matière de vice de consentement, sauf lorsque la loi en dispose autrement le travailleur ne peut renoncer au droit qu’il tire d’une disposition légale impérative que lorsque ce droit sera entré dans son patrimoine et pourvu qu’à ce moment, il ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur, de telle manière que tout risque de pression a disparu.

En l’espèce, la cause de la convention de transaction est licite, mais celle-ci est intervenue à un moment où le travailleur se trouvait encore dans un lien de subordination avec l’employeur. Il n’était dès lors pas à l’abri de tout risque de pression. L’objet de la transaction, qui est de disposer du droit subjectif tiré de l’article 26, alinéa 2, de la loi du 27 juin 1969, est illicite. Pour la cour, ceci n’empêchait pour autant pas l’employeur, en dehors de toute convention de transaction et en raison de l’obligation déduite de la même base légale, d’indemniser d’initiative son travailleur pour le préjudice subi suite au non-paiement de cotisations de sécurité sociale. Le jugement est dès lors confirmé et l’appel incident est non fondé.

La convention transactionnelle ayant cependant été déclarée nulle, elle est privée d’effets. Les parties doivent être replacées dans le même état que si elles n’avaient pas contracté. La demande de remboursement est dès lors fondée sur ce point.

La cour se penche ensuite sur la demande de régularisation du paiement des cotisations de sécurité sociale. Elle constate que le travailleur se prévaut d’un droit subjectif dont il serait titulaire, étant qu’il demande la condamnation de l’Etat au paiement des cotisations sur les rémunérations, s’agissant par là d’obtenir la réparation en nature du préjudice découlant du non-paiement de celles-ci.

Pour la cour, la question de savoir si la réparation en nature s’avère ou non possible, notamment en raison de la prescription de la créance, intéresse le fondement de la demande et non la recevabilité. La circonstance que l’O.N.S.S. dispose d’une action directe contre l’employeur ne prive pas le travailleur de son droit d’agir personnellement avec le même objectif factuel, mais sur un fondement légal différent (renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 6 novembre 2019, R.G. 2016/AB/957).

Pour ce qui est de la prescription, la cour conclut que la répétition ininterrompue du même fait de non-paiement des cotisations sur une période aussi longue était induite par la volonté assumée et persistante de l’employeur de ne pas procéder à l’assujettissement de son personnel à la sécurité sociale belge, ce qui manifeste à suffisance de droit l’existence d’une unité d’intention révélatrice d’une infraction continuée (34e feuillet).

La cour déboute l’intéressé de sa demande de réparation en nature du dommage, ce droit ne pouvant se confondre avec le droit au paiement des cotisations sociales elles-mêmes, dont seul l’O.N.S.S. est titulaire.

Elle accueille cependant la demande de dommages et intérêts d’un euro provisionnel au titre de réparation du préjudice subi en raison du non-paiement des cotisations sociales.

Elle poursuit, quant à la base, que le montant perçu par le travailleur pendant la période litigieuse doit être considéré comme de la rémunération brute imposable, à savoir celle servant de base au calcul de l’impôt et qui, après déduction du précompte professionnel, donnerait la rémunération nette (rappelant que ceci doit intervenir dans le respect de l’article 26, alinéa 1er, de la loi du 27 juin 1969, qui interdit à l’employeur de récupérer à charge du travailleur le montant de la cotisation de celui-ci non retenue en temps utile).

Le travailleur ayant également introduit une demande de dommages et intérêts en raison du non-paiement du double pécule de vacances (s’agissant du non-paiement de doubles pécules de vacances par l’O.N.V.A. en raison de l’absence d’affiliation au régime belge de la sécurité sociale), la cour précise le fondement de la demande : il s’agit de l’article 1382 de l’ancien Code civil, le non-assujettissement fautif à la sécurité sociale ayant engagé la responsabilité extracontractuelle de l’employeur et ayant abouti à exclure le travailleur du champ d’application des lois en matière de vacances annuelles. De ce fait, l’intéressé a été empêché – indépendamment même du non-paiement des cotisations sociales et nonobstant l’article 17 des lois du 28 juin 1971 – de se prévaloir d’un droit au paiement des doubles pécules de vacances litigieux.

Pour ce qui est de la prescription, le délai de prescription de trois ans prévu à l’article 46bis, alinéa 1er, des mêmes lois, ne s’applique qu’à l’action en paiement du pécule de vacances dirigée par le travailleur contre l’O.N.V.A. La circonstance que l’action en paiement du pécule de vacances soit ainsi prescrite en application de l’article 46bis, alinéa 1er, ne fait, pour la cour, que conforter l’intéressé dans sa prétention à l’égard de l’Etat et qui tend à obtenir une réparation par équivalent sur pied de l’article 1382 de l’ancien Code civil.

Reste à débattre d’arriérés de rémunération, question qui fait l’objet d’une réouverture des débats, ainsi que celle de l’évaluation du dommage réel subi en raison du non-paiement des cotisations sociales pour la période concernée.

Intérêt de la décision

Le contentieux concernant le personnel d’ambassade ne faiblit pas !

L’intérêt de la présente espèce est d’examiner les effets d’une situation passée, effets limités dans le temps suite à une régularisation des contrats de travail du personnel occupé par l’Etat étranger en 2012.

La procédure porte ainsi – notamment – sur les conséquences du non-versement des cotisations de sécurité sociale pendant une période de dix ans, achevée en 2012.

Comme l’a souligné la cour, la demande du travailleur ne peut pas être fondée sur une réparation en nature, dans la mesure où le droit au paiement des cotisations sociales elles-mêmes appartient à l’O.N.S.S. seul.

La cour a précisé que faire droit à cette demande constituerait un abus de droit dans le chef du travailleur, puisqu’il « forcerait ainsi le passage d’une voie hasardeuse sans même s’assurer le concours de l’O.N.S.S. pour définir et recueillir les sommes dues par l’Etat ». Ce faisant, l’on négligerait une autre voie, étant celle de l’article 42, alinéa 5, de la loi du 27 juin 1969, qui permet l’intervention de l’O.N.S.S. et est susceptible d’éliminer toute difficulté sur le plan de la prescription, comme l’arrêt le rappelle. En l’espèce, cette démarche n’avait pas été introduite.

La réparation intervient dès lors pas équivalent, le travailleur devant cependant établir la consistance de son dommage réel.

L’arrêt présente un autre point d’intérêt, étant le fondement de la demande de condamnation de l’Etat étranger suite au non-paiement des doubles pécules de vacances (régime des ouvriers en l’espèce). La cour a rappelé les obligations de l’employeur au moment de l’engagement, obligations qui conditionnent l’assujettissement en règle au régime de la sécurité sociale. A défaut de respect de ces obligations, l’employeur commet une faute et engage sa responsabilité extracontractuelle, ceci indépendamment même du non-paiement des cotisations sociales et nonobstant l’article 17 des lois du 28 juin 1971, qui fait interdiction à l’O.N.V.A. (ainsi qu’aux caisses spéciales de vacances) de subordonner le paiement du pécule de vacances au versement par l’employeur des cotisations afférentes aux vacances annuelles.


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