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Secteur public : licenciement d’un travailleur contractuel et obligation d’audition

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2022, R.G. 2019/AB/473

Mis en ligne le lundi 13 février 2023


Cour du travail de Bruxelles, 26 septembre 2022, R.G. 2019/AB/473

Terra Laboris

Par arrêt du 26 septembre 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations de preuve à charge d’un travailleur contractuel du secteur public licencié pour des motifs liés à la conduite, sans audition préalable : tant pour ce qui est du motif que des circonstances du licenciement, le demandeur doit prouver la faute, le dommage extraordinaire et le lien de causalité.

Les faits

Un employé communal sous contrat de travail à durée indéterminée en qualité de conseiller est convoqué à une audition. Celle-ci concerne son comportement sur le lieu du travail, étant qu’il aurait refusé de recevoir un citoyen dans le cadre d’un dossier d’urbanisme et qu’il aurait eu des propos déplacés vis-à-vis d’un échevin et d’autres représentants de la commune. Lui est reproché un comportement violent et agressif.

Il adresse un courriel, dans lequel il expose que les faits sont dus à son état de stress ainsi qu’à des troubles associés dus à un surmenage. Il communique un certificat médical et conclut en précisant qu’il « espère pouvoir (se) reconstruire dans des délais raisonnables ».

Dès réception de ce courriel, le Collège communal procède au licenciement de l’intéressé, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, reprenant comme motif « incompatibilité d’humeur, propos et attitude violents et rupture de confiance ». La délibération du Collège, motivée, est jointe.

L’intéressé conteste très rapidement son licenciement, réclamant diverses sommes, dont des dommages et intérêts pour la perte d’une chance de conserver son emploi ainsi que pour licenciement abusif.

Il introduit une procédure devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre), qui rend son jugement le 2 avril 2019. Le tribunal lui alloue 12.500 euros au titre d’indemnisation du dommage matériel et le même montant pour dommage moral résultant de la faute commise par la Commune, qui n’a pas procédé à son audition préalable effective avant de le licencier.

Appel est interjeté par la commune, qui demande la réformation du jugement en toutes ses dispositions.

Le demandeur originaire forme quant à lui appel incident, demandant la condamnation de la commune à un montant de 30.000 euros de dommage matériel ainsi que de 15.000 euros de dommage moral. Le dommage matériel est fondé sur la faute commise par la commune, qui n’a pas procédé à l’audition préalable effective avant le licenciement, le préjudice consistant en la perte d’une chance de conserver l’emploi. Le dommage moral résulte de la même faute, ainsi que de la faute de la commune, qui l’a licencié sur la base de motifs inexistants, et des circonstances entourant le licenciement.

La décision de la cour

Sur l’absence d’audition préalable et les dommages et intérêts pour la perte d’une chance de conserver l’emploi, la cour relève que l’intimé se fonde sur le principe général du droit audi alteram partem.

Elle reprend, avec sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 3 février 2022, R.G. 2019/AB/53), les règles générales de la responsabilité civile. Il s’agit dès lors pour le travailleur de prouver non seulement que l’employeur a commis une faute en ne l’auditionnant pas, mais également que cette faute lui a causé un dommage, lequel doit être distinct de celui couvert par l’indemnité compensatoire de préavis (qui a un caractère forfaitaire). Il est en effet unanimement considéré que ces dommages et intérêts doivent couvrir un dommage extraordinaire qui n’est pas causé par le licenciement lui-même (la cour rappelant notamment C. trav. Bruxelles, 2 mars 2022, R.G. 2019/AB/71).

Elle examine dès lors s’il y a une faute en l’espèce. Pour l’intimé, la faute consiste dans le fait pour la commune de ne pas avoir attendu son retour et d’avoir pris la décision de le licencier alors qu’aucune urgence n’existait. Il considère que, si la commune avait pris la peine de l’entendre, il aurait pu exercer ses droits de défense et ne pas perdre son emploi.

La cour rappelle ensuite qu’en vertu du principe général de bonne administration audi alteram partem, l’autorité publique doit entendre la personne, lorsqu’une mesure grave est envisagée pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement. En l’espèce, s’il a été convoqué pour une audition, l’intéressé n’a pu s’y rendre pour des motifs justifiés. La cour retient une faute dans la circonstance que des motifs ont été donnés pour ne pas se rendre à l’audition et qu’en conséquence, il ne peut être reproché à l’employé de s’être soustrait à celle-ci. Par ailleurs, aucune urgence n’existait. L’employeur a dès lors agi avec légèreté et précipitation, ne permettant pas à l’intéressé de se défendre.

Quant au dommage, celui-ci consiste en règle dans la perte d’une chance de conserver l’emploi et la cour rappelle qu’il s’agit d’un dommage distinct du préjudice matériel et moral causé par le licenciement lui-même. Le dommage doit cependant être certain et non seulement hypothétique, conjectural ou éventuel.

La cour renvoie ici à la doctrine de D. PHILIPPE et à celle de A. VANGANSBEEK (D. PHILIPPE, « Quelques réflexions sur la perte d’une chance et le lien causal », R.D.C., 2013/10, p. 1010 ; A. VANGANSBEEK, « La théorie de la perte de chance en droit du travail », Ors., 2022, p. 3).

Il doit s’agir d’une chance réelle, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation à plusieurs reprises (dont Cass., 21 avril 2016, n° C.15.0286.N). La preuve doit être apportée par le demandeur.

La cour constate en l’espèce que l’intéressé a retrouvé un emploi et qu’il considère que son dommage consiste dans le fait qu’il aurait peut-être refusé cet emploi pour rester dans les fonctions qu’il occupait, lesquelles lui assuraient une stabilité d’emploi, une ancienneté et d’éventuelles perspectives d’avenir.

La cour rejette que ceci soit un dommage avéré, ne s’agissant que d’une simple possibilité. La perte de chance doit en effet être appréciée en fonction des circonstances particulières propres à chaque cause, elle doit être certaine et pas seulement probable ou éventuelle (avec renvoi ici à C. trav. Bruxelles, 4 novembre 2019, R.G. 2014/AB/798).

La cour réforme dès lors le jugement, vu que la preuve n’est pas apportée par le demandeur originaire.

Quant aux dommages et intérêts pour licenciement abusif, qui représentent la partie de la demande relative à un dommage moral, ceux-ci se fondent à la fois sur l’absence d’audition et de motif, de même que sur les circonstances du licenciement.

Pour ce qui est du motif, la cour renvoie à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui, dans son arrêt du 30 juin 2016 (C. const., 30 juin 2016, n° 101/2016), a invité les juridictions à s’inspirer de la C.C.T. n° 109 afin d’éviter une discrimination entre tous les travailleurs du service public, ceci ne permettant cependant pas une transposition pure et simple de l’application des règles que cette convention renferme.

Il y a lieu d’appliquer le droit commun en matière d’abus de droit et d’examiner l’existence, dans le chef de l’employeur public, d’un éventuel abus de droit à l’aune du comportement de l’employeur normalement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances.

Pour la cour, dans son appréciation, le juge peut avoir égard, dans l’examen du comportement de cet employeur public, aux critères applicables à l’employeur du secteur privé, soumis à la C.C.T. n° 109. Ici, également, le travailleur du secteur public doit, conformément au droit commun des obligations, prouver son dommage, tant dans son principe que dans son ampleur.

En l’espèce, le licenciement est fondé sur une incompatibilité d’humeur et sur l’attitude agressive de l’employé. Il est en lien avec sa conduite. Ce licenciement n’est pas dénué de fondement, l’intéressé ayant admis lui-même, dans une certaine mesure, le caractère inapproprié de celle-ci. Quant aux circonstances du licenciement, même s’il a été donné avec effet immédiat, il s’est accompagné d’une indemnité compensatoire de préavis.

Sur le dommage, la cour considère que celui-ci n’est pas du tout étayé, le renvoi à un préjudice moral, à la brutalité du licenciement et aux circonstances humiliantes et vexatoires l’entourant, et encore à une mauvaise publicité préjudiciable au reclassement professionnel et à la réputation de l’intéressé n’est cependant pas avéré. Elle lui fait grief de ne pas établir un préjudice précis subi personnellement et non couvert par l’indemnité de rupture.

Enfin, elle ne fait pas droit à une demande de preuve par témoins, considérant disposer de suffisamment d’éléments pour conclure que le dommage allégué n’est pas établi.

Intérêt de la décision

La question de l’audition du travailleur contractuel dans le service public préalable à son licenciement donne lieu à une abondante jurisprudence, les hautes cours étant intervenues sur la question du caractère obligatoire ou non de l’audition, tant dans le secteur privé que public, ainsi qu’à la situation discriminatoire que constitue une obligation d’audition à l’intérieur du secteur public lui-même pour les agents statutaires mais non pour les agents contractuels. La jurisprudence est connue et est d’ailleurs rappelée dans plusieurs décisions citées dans cet arrêt.

La solution retenue par la cour du travail, dès lors qu’a été postulée une condamnation à la réparation d’un dommage matériel et moral suite à l’absence d’audition et suite à une faute commise par l’employeur ainsi qu’aux circonstances du licenciement, est de constater, pour chaque chef de demande, qu’il y a renvoi aux règles de droit commun.

Pour ce qui est du non-respect de l’obligation audi alteram partem, le demandeur doit non seulement établir la faute de l’employeur public (qui sera en règle retenue dès lors que l’audition n’a pas été respectée, hors circonstances particulières), mais également un dommage. La cour rappelle que le renvoi à la théorie de la perte de chance doit, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, viser la perte d’une chance réelle et que le dommage ne doit pas être hypothétique.

Le même raisonnement est fait pour ce qui est du licenciement abusif. En sa composante relative à une absence de motivation, la cour retient qu’il y a renvoi au droit commun, le juge pouvant avoir égard cependant pour jauger le comportement de l’employeur public aux critères applicables à l’employeur du secteur privé.

Dès lors que le motif est en lien avec la conduite du travailleur, le juge apprécie la mesure de licenciement à l’aune de l’employeur normal et raisonnable.

Enfin, sur les circonstances du licenciement, à la fois la faute et le dommage doivent être dûment avérés, ce qui n’a pas été admis par la cour en l’espèce.


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