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Allocations aux personnes handicapées : condition de nationalité et d’inscription au registre de la population

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 8 septembre 2022, R.G. 2021/AN/108

Mis en ligne le lundi 7 août 2023


Cour du travail de Liège (division Namur), 8 septembre 2022, R.G. 2021/AN/108

Terra Laboris

Dans un arrêt du 8 septembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend les exigences légales en vue de l’octroi des allocations aux personnes handicapées aux personnes de nationalité étrangère, confirmant la validité de la condition d’inscription au registre de la population, s’agissant en l’espèce d’une personne à charge d’un réfugié.

Les faits

Un jeune albanais a introduit en juin 2014 une demande de protection internationale en sa qualité de mineur non accompagné (MENA). Il a rapidement obtenu la reconnaissance du statut de réfugié et a bénéficié d’une attestation d’immatriculation et d’une carte B (séjour illimité). Sa mère est arrivée en Belgique en 2015 et a également introduit une demande de protection internationale, qui lui a été refusée. Elle a en conséquence reçu un ordre de quitter le territoire, contre lequel elle a introduit un recours auprès du Conseil du Contentieux des Etrangers. Ce recours a échoué. Entre-temps, elle avait introduit une demande de regroupement familial (étant mère d’un enfant mineur reconnu réfugié). Elle a reçu une attestation d’immatriculation limitée dans le temps et a finalement été autorisée au séjour temporaire pour une période d’un an. Elle a reçu ultérieurement une carte A, qui a été renouvelée. En 2021, son fils a introduit une demande de nationalité belge.

Souffrant d’un handicap, la mère a introduit une demande d’allocations (allocation de remplacement de revenus et allocation d’intégration) auprès du SPF Sécurité sociale. Celui-ci a été reconnu par une décision du 7 juillet 2020, le SPF admettant une réduction de capacité de gain d’un tiers et une réduction d’autonomie de huit points. Les allocations lui ont cependant été refusées, vu qu’elle ne remplissait pas la condition de nationalité.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Namur), qui a statué par jugement du 7 juin 2021. Celui-ci a fait droit à la demande, au motif que les allocations peuvent être octroyées à un membre de la famille d’un réfugié.

Le SPF interjette appel, faisant valoir que le fils de l’intéressée n’est pas à sa charge et que cette dernière ne peut se prévaloir, en conséquence, de l’article 1er, 2°, de l’arrêté royal du 17 juillet 2006 exécutant l’article 4, § 2, de la loi du 27 février 1987.

Position des parties devant la cour

Le SPF – appelant – conteste que les conditions d’octroi soient remplies, la demanderesse n’étant pas à charge de son fils. Il plaide également que la différence de traitement entre étrangers inscrits au registre de la population et ceux inscrits au registre des étrangers n’est pas discriminatoire.

Pour l’intimée, il y a lieu de considérer qu’elle est un membre du ménage de son fils et que la condition mise par la loi belge d’être à charge de celui-ci est contraire au Règlement européen de coordination. Elle estime également qu’elle remplit la condition d’être à charge de celui-ci, dans la mesure où elle ne bénéficie plus du revenu d’intégration sociale. Enfin, elle plaide qu’il y a un lien durable avec la Belgique et que le refus d’octroi au seul motif de l’absence d’inscription au registre de la population ne peut être admis.

L’avis du ministère public

Le ministère public suit la position de l’intimée, admettant que celle-ci est à charge de son fils à partir d’une date déterminée (1er janvier 2022). Il se fonde sur une attestation de mutuelle, considérant cependant que, pour la période antérieure, la condition n’est pas remplie.

La décision de la cour

La cour procède au rappel des textes, étant d’abord l’article 4, § 1er, de la loi du 27 février 1987, qui dresse la liste des bénéficiaires des allocations tels qu’admis par la loi, ainsi que l’article 1er de l’arrêté royal du 17 juillet 2006 qui exécute la même disposition en son § 2, et précise notamment la notion de « membre de la famille du ressortissant ». Selon le texte de cet article 1er, il faut entendre par là les enfants mineurs ainsi que les enfants majeurs, les père, mère, beau-père et belle-mère à charge du ressortissant. Est considérée comme étant à charge de celui-ci la personne qui vit sous le même toit et qui est considérée comme telle au sens de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994. Il s’agit des seules dispositions à prendre en compte sur cette condition d’octroi.

La cour rejoint la position du ministère public en ce qui concerne la période récente, les conditions de l’article 1er, 2°, de l’arrêté royal étant remplies.

Pour la période antérieure, étant celle écoulée entre la date de la demande et la veille du début de la période admise, elle s’écarte de la conclusion du tribunal, qui avait conclu que les allocations pouvaient être octroyées sans autres considérations, du simple fait qu’il s’agit d’un membre de la famille d’un réfugié. La cour estime qu’il devait notamment vérifier si l’intéressée était réellement à charge de son fils ou, à tout le moins, si elle avait des liens suffisamment forts avec la Belgique.

Pour la cour, deux situations peuvent être examinées, permettant l’extension du champ d’application de l’article 4 de la loi, étant de vérifier (i) si l’intimée était à charge de son fils réfugié, ce qui n’est pas établi (cf. ci-dessus), ou (ii) si elle était inscrite au registre de la population, ce qui n’est pas le cas.

Elle en vient ainsi à cette seconde hypothèse, l’intimée contestant la validité de cette condition et invoquant notamment l’arrêt KOUA POIRREZ c/ FRANCE de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 septembre 2003 (Req. N° 40.892/98). Elle reprend ici l’enseignement de la Cour constitutionnelle, qui, dans son arrêt du 12 décembre 2007 (C. const., 12 décembre 2007, n° 153/2007), a admis l’octroi des allocations à l’étranger inscrit au registre de la population, au motif qu’en raison de son statut administratif, il est supposé installé en Belgique de manière définitive ou, à tout le moins, pour une durée significative. Cet arrêt a entraîné l’adoption de mesures nouvelles, étant contenues dans un arrêté royal du 17 juillet 2006 (modifié par un autre, daté du 9 février 2009), aux fins d’admettre les personnes inscrites au registre de la population. Elle reprend les deux arrêts ultérieurs de la Cour constitutionnelle confirmant sa position, étant que ceci devait être admis pour les personnes dont les enfants avaient acquis la nationalité belge (C. const., 9 aout 2012, n° 108/2012) et pour ceux qui sont dans l’impossibilité de quitter la Belgique pour raisons médicales (C. const., 4 octobre 2012, n° 114/2012).

Si la jurisprudence n’a pas partagé d’emblée la position de la Cour constitutionnelle (référence étant faite à deux arrêts de la Cour du travail de Liège du 23 juin 2014, R.G. 2013/AL/643 et R.G. 2013/AL/596), la cour rappelle que la Cour de cassation est intervenue dans le sens de la conclusion de la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 14 mars 2014 (Cass., 14 mars 2014, n° S.13.0002.N).

Elle indique à titre surabondant que le séjour de l’intéressée avait été accordé à titre temporaire pendant plusieurs années et que, si elle a été inscrite à la même adresse que son fils, une simple inscription n’établit pas nécessairement un séjour durable.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend l’évolution de la question de l’octroi de l’aide sociale spéciale (allocations spécifiques octroyées aux personnes atteintes d’un handicap au sens de la loi du 27 février 1987) aux personnes de nationalité étrangère non reprises dans la liste des bénéficiaires fixée par l’article 4, § 1er, de la loi. Le champ d’application de celui-ci a été étendu par l’arrêté royal du 17 juillet 2006 à plusieurs catégories de personnes, dont celles qui sont le conjoint, le cohabitant légal ou un autre membre de la famille au sens du Règlement n° 1408/71 du 14 juin 1971 d’une personne visée à l’article 4, § 1er (1° à 5°), de la loi, ou encore d’un ressortissant d’un des Etats visés à cette disposition, ces personnes n’étant pas par elles-mêmes ressortissantes de ceux-ci mais ayant leur résidence réelle en Belgique. Sont également visées les personnes inscrites au registre de la population.

L’arrêté royal fixe comme conditions de reconnaissance de la qualité de personne à charge d’un ressortissant visé par le texte celles de vivre sous le même toit et d’être à charge au sens de la législation en matière de soins de santé et indemnités.

La Cour constitutionnelle a admis la légalité de la condition d’inscription au registre de la population, s’agissant précisément d’une aide sociale spéciale, qui peut être soumise à la condition d’être installé en Belgique de manière définitive ou, à tout le moins, pour une durée significative. Malgré des hésitations en jurisprudence, la Cour de cassation a confirmé la conclusion de celle-ci, rappelant, dans son arrêt du 14 mars 2014 (précédemment commenté), l’exigence de l’inscription au registre de la population.


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