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Apport de connaissances de gestion et droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 24 mars 2023, R.G. 2022/AL/458

Mis en ligne le samedi 11 novembre 2023


C. trav. Liège (div. Liège), 24 mars 2023, R.G. 2022/AL/458

Dans un arrêt du 24 mars 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) a jugé que, lorsqu’une entreprise est exploitée par une personne physique, la présomption d’exercice effectif de la gestion journalière découlant de l’apport des connaissances de gestion de base n’est pas applicable lorsque l’apporteur des connaissances de gestion est le conjoint du chef d’entreprise, son cohabitant légal ou son partenaire avec lequel il cohabite depuis six mois.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage a fait l’objet d’une décision d’exclusion de l’ONEm datée du 25 janvier 2021, décision prise sur pied des articles 44, 45, 48 et 71 de l’arrêté royal organique. La décision confirme également la récupération d’allocations perçues indûment et prévoit une sanction de huit semaines sur pied de l’article 154, l’intéressée ne remplissant plus les conditions d’octroi à l’issue de la sanction, en application de l’article 48.

L’ONEm rappelle, dans sa décision, les articles 44 et 45, alinéa 1er, 1°, de l’arrêté royal. Il fait grief à l’intéressée d’exercer une activité indépendante à titre complémentaire non déclarée lors de sa demande d’allocations et non mentionnée sur les documents de contrôle. Il s’agit, dans les faits, d’avoir « donné la gestion » d’une activité à son mari, afin qu’il puisse ouvrir sa société. Pour l’ONEm, le fait de donner la gestion implique une activité effective, non compatible avec le bénéfice des allocations, s’agissant d’une activité pouvant être intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et non limitée à la gestion normale des biens propres. Elle constitue un travail non cumulable avec les allocations.

Suite au recours introduit par l’intéressée, et dans lequel l’ONEm forme une demande reconventionnelle en vue de récupérer les allocations payées, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) a rendu un jugement le 27 septembre 2022.

Le jugement du tribunal

Le tribunal a accueilli le recours, en considérant que la présomption d’exercice effectif de la gestion journalière applicable en cas d’apport de connaissances de gestion ne s’applique pas lorsque l’apporteur est le conjoint du chef d’entreprise et que, par ailleurs, l’affiliation à une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (qui avait été prise) n’engendre qu’une présomption réfragable d’exercice d’une activité pour compte propre.

En l’espèce, il a estimé que la présomption était renversée, dans la mesure où, selon la caisse d’assurances sociales, la chômeuse n’aurait jamais dû être affiliée en qualité de travailleur indépendant, puisqu’elle n’apportait ses connaissances qu’en qualité de conjoint, qu’elle exerçait par ailleurs une activité salariée et qu’en outre l’activité de transport de son mari pouvait difficilement être exercée par elle. Il s’agissait pour le tribunal d’une activité pour compte propre limitée à la gestion normale de biens propres.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’ONEm fait grief au tribunal d’avoir considéré que la présomption d’exercice effectif de la gestion journalière applicable en cas d’apport de connaissances de gestion n’est pas applicable entre époux, que le chômeur est le conjoint du chef d’entreprise et que, de ce fait, il exerce une activité pour compte propre limitée à la gestion normale des biens propres. Il maintient la position initialement défendue pour ce qui est de la sanction et de la récupération également.

Quant à l’intimée, elle sollicite la confirmation pure et simple du jugement, demandant la condamnation de l’ONEm à payer les allocations de chômage.

La décision de la cour

En droit, la cour reprend les règles des articles 44, 45, alinéa 1er, 1°, et 49, § 1er, de l’arrêté royal. Elle précise que l’affiliation à une caisse d’assurances sociales pour travailleurs indépendants est un indice quant à l’exercice d’une activité pour compte propre non autorisée. Elle génère une présomption d’exercice effectif d’une activité incompatible avec les allocations de chômage, la cour renvoyant à la doctrine de M. SIMON (M. SIMON, R.P.D.B. – Chômage, Larcier, 2021, n° 123 et jurisprudence citée). Cette présomption vaut pour les travailleurs indépendants inscrits tant à titre principal qu’à titre complémentaire, ainsi que pour les aidants, qui sont en principe également assujettis au statut social.

Par ailleurs, en cas d’apport de connaissances de gestion de base à une entreprise indépendante, celui-ci est considéré comme une présomption d’exercice effectif de la gestion journalière. Ceci ressort de l’article 4, § 2, de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante, ainsi que de l’article 9, § 3, de l’arrêté royal du 21 octobre 1998 portant exécution du chapitre Ier du Titre II de celle-ci.

Il est cependant admis que, lorsque l’entreprise est exploitée par une personne physique, la présomption n’est pas applicable lorsque l’apporteur des connaissances de gestion est le conjoint du chef d’entreprise, son cohabitant légal ou son partenaire (avec une exigence de cohabitation d’au moins six mois). Le renvoi est ici fait à la même doctrine, dont la cour souligne qu’elle partage la position, celle-ci étant conforme au texte légal, qui n’exige pas que les personnes précitées exercent effectivement la gestion journalière pour pouvoir valablement apporter au chef d’entreprise les connaissances de gestion requises.

Examinant la situation en fait, la cour retient que la chômeuse était affiliée à une caisse d’assurances sociales et qu’elle a déclaré à l’ONEm ne pas exercer d’activité accessoire, l’affiliation étant intervenue pour l’apport de connaissances de gestion de base à son mari, qui venait d’entreprendre une activité de transport de voyageurs en personne physique.

La présomption d’exercice de la gestion journalière de l’entreprise ne doit pas, pour la cour, trouver à s’appliquer ici pour ce qui est de l’apport des connaissances de gestion, vu que l’intéressée est la conjointe du chef d’entreprise, et l’ONEm ne peut se fonder sur cette présomption. C’est à lui de prouver l’exercice effectif de l’activité et non à l’intéressée d’établir qu’elle n’exerçait pas effectivement cette gestion journalière.

L’affiliation à une caisse ne s’imposait pas, dans la mesure où l’intéressée pouvait se prévaloir de la qualité de conjoint-aidant disposant déjà d’un statut social propre au moins équivalent à celui d’un travailleur indépendant, dans la mesure où elle était assujettie au régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs salariés, la cour renvoyant ici à l’article 7, 1°, de l’arrêté royal n° 38 et a contrario à l’article 7bis, § 1er, du même texte. Ceci fut d’ailleurs confirmé par la caisse à l’auditorat du travail. En conséquence, aucune présomption ne peut non plus être déduite d’une affiliation qui n’avait pas lieu d’être, l’ONEm étant ici également la partie à qui incombe la charge de la preuve.

Pour la cour, l’Office ne peut dès lors se borner à plaider qu’il ne pouvait pas être exclu qu’elle aidait effectivement son mari (prise de rendez-vous, nettoyage du véhicule, etc.) sans produire d’éléments vérifiables à cet égard.

N’est en outre nullement établi le fait que l’intéressée aurait perçu une rémunération ou un avantage non compatible avec les allocations, celle-ci produisant ses avertissements-extraits de rôle, dont il ressort qu’elle n’a jamais été rémunérée en contrepartie de l’apport des connaissances de gestion.

Le jugement du tribunal est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

C’est sans conteste la présomption de l’article 4, § 2, de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante (confirmée dans l’arrêté royal d’exécution) qui fait l’intérêt de cet arrêt, présomption dont la cour retient qu’elle n’est pas applicable lorsque l’apporteur de connaissances est le conjoint du chef d’entreprise, son cohabitant légal ou son partenaire avec lequel il cohabite depuis au moins six mois. La question a été tranchée, conformément à la doctrine (citée dans l’arrêt), la loi n’exigeant pas que les personnes précitées exercent effectivement la gestion journalière pour pouvoir apporter au chef d’entreprise les connaissances de gestion requises. Dans les autres cas d’apport (étant ceux qui ne sont pas faits par les personnes précitées), le chômeur doit prouver l’absence d’activité.

L’on peut, sur la question, renvoyer à un arrêt du 28 janvier 2022 de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 28 janvier 2022, R.G. 2020/AL/458), qui se fonde également sur l’article 4 de la loi-programme du 10 février 1998 pour la promotion de l’entreprise indépendante, en vertu duquel toute entreprise (PME, personne physique ou personne morale) qui exerce une activité exigeant une inscription au registre du commerce ou de l’artisanat doit prouver les connaissances de gestion de base. Pour la cour, la présomption d’exercice d’une activité professionnelle résultant de l’apport des connaissances de gestion est réfragable. Le chômeur apportant des connaissances de gestion peut donc prouver que cet apport est fait sans but de lucre et sans activité effective de sa part, même si, ce faisant, il reconnaît éventuellement une infraction au regard de la réglementation économique. La preuve à rapporter par le chômeur est la preuve d’une absence d’activité, soit un fait négatif. Conformément à l’article 8.6 du Code civil, la preuve d’un fait négatif doit être rapportée avec moins de rigueur.

L’on notera également les développements faits par la cour sur la question de l’affiliation (qui n’avait pas lieu d’être en l’espèce) au statut social des travailleurs indépendants, pour ledit apport.


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