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Droit à une pension de survie : notion d’« accident » permettant d’échapper à la condition de mariage d’un an

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 mai 2023, R.G. 2021/AB/501

Mis en ligne le vendredi 15 décembre 2023


Cour du travail de Bruxelles, 12 mai 2023, R.G. 2021/AB/501

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 mai 2023, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur la définition de l’« accident » au sens de l’article 4, § 1er, de l’arrêté royal n° 72 : il doit s’agir d’un événement imprévisible, à savoir qui n’est pas intervenu dans le cours normal des choses attendues et cet événement doit être étranger à l’organisme de la victime.

Les faits

Un couple non marié réside ensemble en Espagne depuis décembre 2015. L’homme divorce de sa première épouse l’année suivante et le couple se mariera en juin 2018 en Espagne. Quelques semaines plus tard, l’époux est hospitalisé pour une pneumonie et il décède rapidement. Il est constaté que le décès est essentiellement dû à une pneumonie, une insuffisance respiratoire sévère ayant été constatée, mais qu’il a également contracté une maladie à l’hôpital.

La veuve introduit alors une demande de pension de survie par l’intermédiaire de l’institution espagnole compétente. Feu son époux, de nationalité belge, avait effectué une carrière en Belgique en qualité de travailleur salarié et en qualité d’indépendant.

La demande de pension de survie dans le régime salarié est rejetée par une décision du S.F.P. du 4 octobre 2019. La raison du refus est que le mariage a duré moins d’un an, en ce compris l’éventuelle période de cohabitation légale qui l’a précédée, aucun enfant n’étant par ailleurs né du mariage ou de la cohabitation en cause et la demanderesse n’ayant pas d’enfant à charge au moment du décès. Il est en outre constaté que ce décès n’est pas consécutif à un accident postérieur à la date du mariage ou à une maladie professionnelle survenue ou qui se serait aggravée après celle-ci.

L’I.N.A.S.T.I. rend une décision similaire, fondée sur la trop courte durée du mariage.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles contre l’I.N.A.S.T.I.

Dans un jugement du 27 mai 2021, il est fait droit à la demande de l’intéressée, qui se voit allouer une pension de survie en raison du décès de son époux, et ce à dater du premier jour du mois du décès.

Appel est interjeté par l’I.N.A.S.T.I.

Dans le cadre de la procédure d’appel, l’intimée, qui sollicite la confirmation du jugement, demande à titre subsidiaire la désignation d’un médecin-expert aux fins de fournir à la cour tous les éléments permettant de déterminer si le décès est survenu des suites d’un événement extérieur, soit d’un « accident » au sens de l’article 4 de l’arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants.

La décision de la cour

La cour reprend cette disposition, qui traite essentiellement de la condition de durée du mariage (article 4, § 1er, 1°). Les conditions fixées par le texte sont celles ci-dessus (décision du S.F.P.), étant également précisées les exceptions à la condition d’un an, deux d’entre elles étant relatives à l’existence d’un enfant (enfant né du mariage ou de la cohabitation légale ou présence au moment du décès d’un enfant à charge de l’un des conjoints avec perception d’allocations familiales). La dernière situation visée est la survenance d’un accident postérieur à la date du mariage ou d’une maladie professionnelle contractée dans l’exercice (ou à l’occasion de l’exercice) de la profession (ou encore d’une mission confiée par le Gouvernement ou de prestations dans le cadre de l’assistance technique belge), pour autant que l’origine ou l’aggravation de la maladie soient postérieures au mariage.

En l’espèce, c’est la cause du décès qui est discutée, l’intimée considérant qu’il est dû à un accident au sens de la disposition. Elle fait valoir en outre que la cohabitation de plusieurs années avant le mariage – bien que non enregistrée – doit être prise en considération, conformément au droit espagnol.

La cour aborde l’examen du premier moyen, étant de savoir s’il y a ou non accident. Elle renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 20 août 2019, R.G. 2012/AL/414) qui a défini cette notion en l’absence de précisions dans le texte. Pour la cour du travail, il faut entendre par là un événement imprévu, malheureux ou dommageable. Le décès n’est pas un accident mais la conséquence de celui-ci. Le caractère imprévisible de l’événement ne s’entend pas d’une imprévisibilité absolue, sous peine de réduire la notion d’« accident » à quelques cas exceptionnels. Par « imprévu », il faut entendre ce qui n’est pas dans le cours normal des choses attendues. En outre, l’accident doit être un événement étranger à l’organisme de la victime, sous peine de considérer comme accident tout événement dommageable pour celle-ci.

Dans un autre arrêt, du 17 juin 2008, la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Namur, 17 juin 2008, R.G. 8.322/2007) a considéré qu’un accident est par nature un événement extérieur, ce qui exclut de retenir une défaillance organique, tel un accident cérébral ou cardiaque, même médicalement imprévisible.

La cour du travail examine la motivation du jugement, qui a conclu à l’existence d’un accident. Le premier juge expose qu’à défaut de définition d’un terme par le législateur, celui-ci conserve le sens qu’il possède dans le langage usuel, ce qui doit être le cas pour la notion d’« accident », non définie dans l’arrêté royal.

Le fait que l’intéressé ait contracté une maladie nosocomiale pendant son hospitalisation répond à la notion d’« extériorité » à l’organisme du patient. La cour constate que la bactériémie est apparue durant l’hospitalisation et est due à celle-ci. Elle en conclut que l’intéressé est décédé de la conséquence des affections qu’il a présentées lors de son admission (arrêt cardio-respiratoire) mais que s’y sont jointes des affections causées par l’hospitalisation.

Elle constate que l’I.N.A.S.T.I. persiste dans sa contestation de l’événement extérieur à la victime, les circonstances du décès telles que décrites dans les rapports des médecins urgentistes et/ou responsables des soins intensifs ne correspondant pas à la définition d’« accident », à savoir un événement extérieur à la victime.

Par contre, l’intimée déposant un rapport d’un spécialiste en évaluation du dommage corporel, concluant pour sa part à l’existence d’une cause externe, étant une broncho-aspiration qui a provoqué une infection nosocomiale, la cour retient une contestation de nature essentiellement médicale et recourt à une expertise. La mission de l’expert est de déterminer si le décès est intervenu des suites d’un événement extérieur, au sens de l’article 4 de l’arrêté royal n° 72.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Liège du 20 août 2019 auquel la Cour du travail de Bruxelles renvoie a été précédemment commenté.

La Cour du travail de Liège a rendu plusieurs arrêts sur la question, au fil desquels elle avait donné des précisions quant aux contours de la notion d’« accident » dans le cadre de la législation « pension ».

Dans son arrêt du 2 août 2019, elle avait approfondi la question, renvoyant à l’autre décision citée par la Cour du travail de Bruxelles dans l’arrêté commenté, étant une décision de la Cour du travail de Liège (section Namur) du 17 juin 2008. Était précisé par la cour du travail que la notion d’« accident » permettant au conjoint survivant d’échapper à la condition minimale d’un an de mariage devait, comme toute exception, s’entendre de manière restrictive. La cour avait également abordé la question du lien causal entre l’événement visé (en l’espèce l’ingestion d’un médicament) et le décès. Elle avait retenu que le lien causal doit être établi avec le décès en tout ou en partie mais que la condition légale de l’imprévisibilité doit être rencontrée, étant qu’il ne pouvait s’inscrire dans le cours normal des choses attendues ou pouvant l’être.

Les conclusions de l’expert faisaient état de la probabilité de la survenance d’une atteinte cutanée qui avait été le déclencheur possible d’une insuffisance hépatique brutale. Pour la cour, dans la mesure où le cas de figure était possible mais que les conditions de l’expert n’étaient pas plus affirmatives, il n’était pas répondu à l’exigence de certitude requise.

L’examen du lien causal a dès lors toute son importance, puisqu’il s’agit d’établir la survenance d’un événement se situant en dehors de l’organisme de la victime.

Relevons enfin un précédent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 17 février 2010 (C. trav. Bruxelles, 17 février 2010, R.G. 2008/AB/51.428 – précédemment commenté), qui avait déjà donné une définition de l’accident, dans le cadre de l’arrêté royal n° 50, dans l’hypothèse d’un décès inopiné : celui-ci ne peut être assimilé à un accident s’il est dû à une défaillance organique – même médicalement imprévisible. Pour qu’il y ait « accident », il faut un événement anormal et fâcheux, survenu par force majeure ou par imprudence, qui suppose l’action soudaine d’une force extérieure dont la cause doit être nécessairement étrangère à l’organisme de la victime. Ces termes, issus d’un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 26 octobre 1971 (C. trav. Bruxelles, 26 octobre 1971, R.G. 14.568), renvoyaient à la notion d’« accident » telle qu’elle était entendue à l’époque en matière d’accidents du travail. La cour avait cependant repris l’évolution intervenue dans cette matière, où ces conditions ne sont plus présentes.


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