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GRAPA : prise en compte dans les ressources du produit de la cession d’un bien immobilier

Commentaire de C. trav. Mons, 26 juin 2023, R.G. 2022/AM/193

Mis en ligne le jeudi 8 février 2024


C. trav. Mons, 26 juin 2023, R.G. 2022/AM/193

La Cour du travail de Mons rappelle, dans un arrêt du 26 juin 2023, que des règles différentes sont applicables pour la prise en compte au titre des ressources du produit de la cession onéreuse ou gratuite d’un bien immobilier, en fonction du moment où celle-ci est intervenue : avant ou après l’octroi de la prestation.

Les faits

En 2010, un couple introduit, à des dates séparées de quatre mois, une demande de garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) et complète les formulaires de déclaration de ressources.

L’Office National des Pensions notifie à chacun, respectivement en septembre et en novembre 2010, la décision d’octroi avec le montant annuel leur revenant (pour chacun montant de l’ordre de 4.500 €).

En 2019, le Service Fédéral des Pensions (SFP) – nouvelle dénomination de l’Office national des pensions – sollicite des renseignements auprès du SPF Finances, concernant les biens immobiliers et mobiliers du couple, la demande portant sur leur qualité de propriétaire, de nu–propriétaire ou usufruitier, s’agissant également de savoir s’il y avait eu des cessions de biens mobiliers ou immobiliers.

La réponse du SPF finances est qu’existe une donation faite à leur fille en 2014 d’un immeuble (valeur vénale fixée à 150.000 €).

Une décision de révision intervient dans chacun des deux dossiers, la GRAPA étant supprimée pour chacun à partir du 1er avril 2014 (étant le premier du mois suivant la date de la donation). Un indu est également réclamé, de l’ordre de 16.000 € pour chacun, tenant compte de la prescription.

Le conseil des intéressés intervient, adressant au SFP une demande de renonciation dans les deux dossiers, faisant valoir la bonne foi des intéressés et leur incapacité financière à rembourser.

La procédure

Deux recours sont introduits auprès du Tribunal du travail du Hainaut, division de Binche.

Suite au décès du mari, l’instance est reprise par son épouse et sa fille.

Entre-temps, l’administration refuse de renoncer à la récupération de la somme à charge de l’épouse et lui notifie également l’indu dans le dossier de son mari, en sa qualité de co-débitrice et héritière.

Par jugement du 22 avril 2022, les décisions du SFP sont confirmées.

L’appel

Appel est interjeté, les parties appelantes demandant à titre principal la réformation du jugement et à titre subsidiaire le remboursement moyennant une retenue de 10 % sur le montant net des avantages perçus par l’épouse.

Le SFP sollicite la confirmation pure et simple du jugement.

La décision de la cour

La première question examinée est celle de la motivation des décisions attaquées, eu égard à l’exigence de motivation formelle des actes administratifs contenue dans la loi du 29 juillet 1991. Pour la cour, les décisions litigieuses sont motivées à suffisance de droit tant en droit qu’en fait et de manière adéquate, même si la législation est complexe. La cour rappelle qu’en tout état de cause, même si une décision est annulée pour défaut de motivation adéquate, les juridictions statueront, en vertu de leur pouvoir de juridiction, sur le droit de l’assuré social aux prestations en cause.

Elle en vient ainsi rapidement à la question du droit à la garantie de revenus aux personnes âgées, s’agissant de vérifier le droit du couple à partir du 1er avril 2014.

La cour rappelle que, s’agissant d’un régime résiduaire, la GRAPA implique, pour son octroi, un examen de la situation financière de l’assuré social et de son conjoint ou cohabitant légal. Va également intervenir un examen des ressources, celle-ci étant basée sur la déclaration faite par le bénéficiaire.

La réglementation prévoit la possibilité pour le Service de revoir d’office les droits à la garantie de revenus notamment en cas de modification intervenant dans les ressources. L’article 32 de l’arrêté royal le du 23 mai 2001 précise à cet égard la manière de prendre en compte le produit d’une cession à titre onéreux ou gratuit de biens meubles ou immeubles.

La cour souligne que la Cour constitutionnelle a été saisie d’une question préjudicielle relative à l’article 10 de la loi du 22 mars 2001 et que, dans un arrêt du 20 octobre 2016 (C. Const., 20 octobre 2016, n° 133/2016), elle a jugé que l’article 10 de la loi ne trouve pas à s’appliquer en cas de révision d’office d’une allocation de garantie de revenus aux personnes âgées déjà octroyée. Elle avait constaté qu’en l’espèce la contestation devant le juge a quo ne portait pas sur la période précédant la demande mais uniquement sur les modifications du patrimoine immobilier ou mobilier du bénéficiaire d’une garantie de revenus aux personnes âgées intervenues après l’octroi de l’allocation et qui avaient entraîné une révision d’office. En cas de révision d’une garantie de revenus déjà accordée, la Cour retient que la loi mentionne uniquement, en son article 5, § 6, 2°, que le Roi détermine dans quels cas et à partir de quand la garantie de revenus octroyée est revue. Cette disposition a été exécutée par l’article 14 de l’arrêté royal du 23 mai 2001. Et la Cour constitutionnelle de conclure qu’il ne ressort pas de l’article 10 de la loi qu’il s’applique également en cas de révision d’office d’une allocation déjà accordée.

En conséquence, pour la cour du travail, les demandes introduites ayant pris effet en 2010, il ne pouvait effectivement pas être tenu compte de la donation d’immeubles intervenue en 2014, sur la base de l’article 10.

Il faut, pour la cour, se fonder sur d’autres dispositions, étant les articles 5, § 6, de la loi et 14 de l’arrêté royal du 23 mai 2001. En l’espèce, la cession intervenue à titre gratuit était due à la volonté du père d’anticiper la succession en faveur de leur fille. Cette donation a induit une modification de ressources et le SFP était fondé à procéder à une révision des droits.

En ce qui concerne les calculs, la valeur vénale ayant été établie à 150.000 €, les parties appelantes sollicitent que soit retenu un montant de 75.000 € dans le chef de chacun. Le SFP demande pour sa part, sachant que chacun était titulaire en pleine propriété de la totalité du bien immobilier, que ce soit un montant de 150.000 € qui soit pris en compte pour chacun des époux. La cour procède, avant d’examiner l’opportunité de ce débat, au calcul des ressources issues de cessions et capitaux immobiliers, et de l’incidence de la prise en compte de la valeur de 75.000 € ou de 150.000 €. Elle arrive ainsi dans chacune des deux hypothèses au montant de la GRAPA, celle-ci étant réduite dans la première hypothèse à 1.300 € et étant nulle dans la seconde. Les parties ne s’étant pas expliquées sur le calcul à retenir, la cour ordonne la réouverture des débats sur cette question. Elle demande en outre que le SFP présente un décompte actualisé des dettes.

Enfin, elle vérifie la question du délai de prescription, rappelant les délais en la matière, qui sont de 6 mois ou de 3 ans (ce dernier délai s’appliquant notamment en cas d’abstention du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement). La cour constate que les parties appelantes ne contestent pas l’application du délai de trois ans, vu l’absence de déclaration faite après la donation de l’immeuble. Il s’agit d’une déclaration prescrite par une disposition légale.

Elle s’interroge sur l’incidence de la bonne foi et du devoir d’information de l’institution de sécurité sociale, rappelant les dispositions pertinentes de la Charte de l’assuré social et l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, S.07.0115.F). En l’espèce, les parties appelantes plaident qu’elles n’ont jamais eu l’intention d’influencer le montant de leur GRAPA, au motif de la cession à titre gratuit d’un de leurs immeubles, celle-ci n’étant pas susceptible d’entraîner un accroissement du montant de leurs ressources à prendre en considération.

Pour la cour, la bonne foi invoquée par les appelantes n’est pas suffisante pour appliquer l’article 17 de la Charte de l’assuré social, qui suppose une erreur de fait ou de droit commise par l’institution de sécurité sociale, totalement inexistante en l’espèce.

Elle relève en outre qu’aucune demande d’information n’a jamais été faite par les intéressés et qu’ils ne pouvaient pas ignorer qu’une cession de biens immobiliers était susceptible d’avoir un impact sur leur droit à la GRAPA.

La cour souligne encore que la prise en compte au titre de ressources d’un pourcentage de la valeur vénale d’un immeuble cédé à titre gratuit relève d’un choix politique du législateur sur lequel ni le SFP ni le juge n’ont de prise, sauf à démontrer la violation de droits fondamentaux ou de normes supérieures, ce que les parties appelantes restent en l’espèce en défaut de faire.

Intérêt de la décision

L’article 10 de la loi du 22 mars 2001 dispose que lorsque l’intéressé et/ou le conjoint ou le cohabitant légal avec qui il partage la même résidence principale, ont cédé à titre gratuit ou à titre onéreux des biens mobiliers ou immobiliers au cours des dix années qui précèdent la date à laquelle la demande produit ses effets, il est porté en compte un revenu forfaitaire au titre de ressources et confie au Roi le soin de fixer les modalités de fixation du revenu forfaitaire à retenir, les déductions, etc.

Cette disposition n’est pas applicable au produit de la cession de la maison d’habitation de l’intéressé et/ou des personnes avec qui il partage la même résidence principale, qui n’a pas ou n’ont pas d’autre bien immeuble bâti, dans la mesure où le produit de la cession se retrouve encore entièrement ou en partie dans le patrimoine pris en considération.

Elle ne règle par ailleurs que la prise en compte des biens mobiliers et immobiliers cédés au cours des dix années qui précèdent la date à laquelle la demande de garantie de revenus produit ses effets et non les cessions intervenues ultérieurement.

La Cour constitutionnelle l’a rappelé dans l’arrêt du 20 octobre 2016 (n° 133/2016).

Par conséquent, les modifications du patrimoine immobilier ou mobilier du bénéficiaire d’une garantie de revenus aux personnes âgées, qui sont intervenues après l’octroi de l’allocation et qui ont entraîné une révision d’office de cette allocation ne sont pas visées par cet article mais, comme le retient la cour du travail, par l’article 5, § 6 de la loi et l’article 14 de l’A.R. du 23 mai 2001. Celle-ci renvoie sur ce point à une décision de la Cour du travail de Liège, division Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 7 décembre 2022, R.G. 2022/AL/221 – pour une cession à titre onéreux).


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