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Ressortissants UE : effet rétroactif à la date de la demande de l’octroi du droit de séjour

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 juin 2023, R.G. 2021/AL/407

Mis en ligne le vendredi 17 mai 2024


C. trav. Liège (div. Liège), 9 juin 2023, R.G. 2021/AL/407

Dans un arrêt du 9 juin 2023, la Cour du travail de Liège, division Liège confirme pour les ressortissants de l’Union européenne l’effet rétroactif à la date de la demande d’une décision d’octroi du droit de séjour (celle-ci étant déclarative) et l’exclusion du droit à l’intégration sociale et à l’aide sociale durant les trois premiers mois de séjour sous la seule réserve de la qualité de travailleur au sens de la directive 2004/38/CE.

Les faits

Un citoyen de nationalité italienne, né en Belgique et y ayant vécu plus de 50 ans, avait quitté le Royaume en 2012 pour poursuivre une activité salariée d’abord et indépendante ensuite à l’étranger. Après son retour en Belgique, il s’est adressé au CPAS, étant sans ressources et isolé. Il s’est également inscrit au chômage le 1er janvier 2021. Le CPAS a refusé son intervention vu la radiation d’office et l’expiration de la carte E+ dont il était titulaire. Ne disposant pas d’un titre de séjour régulier, il ne remplissait pas les conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège.

Le tribunal a conclu à la contrariété de l’article 57quinquies de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS (absence de droit à une aide sociale pendant les 3 premiers mois de séjour) au TFUE ainsi qu’à la Charte des droits fondamentaux. Pour le tribunal, en privant l’intéressé de tout droit à l’aide sociale, aussi longtemps qu’il sera en Belgique au titre de ressortissant d’un pays de l’Union qui a demandé à y séjourner en tant que demandeur d’emploi, ces dispositions va au-delà de ce qui est nécessaire pour limiter le phénomène du « tourisme social » ou pour empêcher que l’aide sociale du ressortissant européen ne devienne une charge déraisonnable pour le système belge d’assurance sociale. Il a dès lors écarté cette disposition au profit du TFUE et de la Charte.

Appel a été interjeté par le CPAS.

Les arrêts de la Cour du travail

L’arrêt du 13 juin 2022

La Cour a rendu un premier arrêt le 13 juin 2022 (arrêt précédemment commenté), dans lequel elle a réformé le jugement. Elle a retenu que l’intéressé s’est vu accorder un droit de séjour de plus de 3 mois, qui est déclaratif et a ordonné la réouverture des débats sur l’effet rétroactif du droit et l’évolution de la situation de l’intéressé, eu égard aux prestations accomplies, la cour estimant que des zones d’ombre subsistaient quant à l’état de besoin et qu’il y avait lieu d’envisager séparément plusieurs périodes.

L’arrêt du 9 juin 2023

La Cour poursuit son examen du dossier quant à l’effet rétroactif du droit de séjour de plus de 3 mois, dont l’intéressé a bénéficié depuis le 16 juillet 2021 et son incidence éventuelle sur l’application de l’article 3, 3°, de la loi du 26 mai 2002 relative à l’intégration sociale.

Renvoyant à l’avis du ministère public sur la question, la cour estime qu’il y a lieu de reconnaître un effet rétroactif au droit de séjour de plus de 3 mois dont l’intéressé bénéficie en l’espèce depuis le 16 juillet 2021, et ce dès le 8 janvier 2021, qui est la date à laquelle il a introduit sa demande tendant à la reconnaissance de ce droit.

Il doit dès lors être considéré comme satisfaisant à la condition prévue par l’article 3, 3°, de la loi du 26 mai 2002 depuis cette date, sous la seule réserve qu’il n’a pas droit à l’intégration sociale durant les 3 premiers mois de son séjour. La cour relève sur ce point que la même exclusion est prévue par l’article 57quinquies de la loi du 8 juillet 1976 et que l’intéressé ne peut dès lors pas persister à postuler l’écartement de cette disposition. En effet, si ceci a été admis par le jugement dont appel, la cour rappelle qu’elle a statué dans son premier arrêt sur la question et qu’il n’y a plus lieu d’examiner cette demande d’écartement, qui est déjà tranchée.

Le demandeur originaire n’aura dès lors pas droit à l’aide sociale pendant les 3 premiers mois de son séjour.

L’intéressé exposant avoir par ailleurs accompli des prestations pendant la période du 8 janvier au 7 avril 2021 (et ultérieurement encore, jusqu’au 30 juin 2021), la cour examine s’il avait la qualité de « travailleur » au sens de la directive 2004/38/CE, ses prestations ayant été accomplies dans le cadre d’une plateforme collaborative.

La cour déplore le dépôt tardif d’éléments permettant de vérifier l’effectivité et l’importance de prestations que l’intéressé dit avoir accomplies dans ce cadre. Elle se voit contrainte d’écarter les pièces déposées à cet égard, celles-ci n’ayant été produites qu’après l’avis du ministère public. Cet écartement d’office intervient conformément aux articles 740 et 775 du Code judiciaire.

La cour note surabondamment qu’en tout état de cause celles-ci ne font apparaître que des prestations tout à fait minimes, n’ayant généré qu’un revenu global net de moins de 100€.

Examinant à la lumière de ces éléments si l’intéressé peut prétendre avoir eu la qualité de travailleur au sens de la directive 2004/38/CE, la cour en rappelle la définition par la Cour de justice, étant qu’il faut entendre par là toute personne qui exerce des activités réelles et effectives à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires.

En l’espèce, l’intéressé ne peut se voir reconnaître la qualité de travailleur pour la période du 8 janvier au 7 avril 2021. Il ne pouvait dès lors prétendre à aucune aide sociale financière dans cette même période, conformément à l’article 57quinquies de la loi du 8 juillet 1976.

De même, aucune preuve n’est apportée pour les quelques jours précédant le 8 janvier, la cour soulignant que la seule inscription sur une plateforme ne suffit pas.

Elle en vient dès lors à l’examen de la période du 8 avril au 30 juin 2021, qui est la seule période à prendre en considération dans la mesure où celle-ci se situe après les 3 premiers mois de séjour pour lesquels il y a exclusion du droit et note que même si les pièces produites en réplique à l’avis écrit du ministère public sont écartées, il en ressort qu’il a perçu pour cette période, toujours dans le cadre de la plateforme, un montant global net de l’ordre de 1250€. Il s’agit d’une ressource à prendre en considération pour le calcul du montant de revenu d’intégration. De même, il a travaillé dans le cadre d’un contrat à durée déterminée du 9 juin au 5 juillet 2021 à concurrence de 13h00 par semaine - sans toutefois préciser le montant du salaire perçu pour cette période. Vu cet élément manquant, la cour renvoie la question du calcul au CPAS dans le cadre de l’exécution de l’arrêt.

Elle constate qu’il n’y a pas d’autres ressources à prendre en compte et octroie le bénéfice du revenu d’intégration sociale pour la période sous la déduction des montants repris ci-dessus et qu’il y a lieu de calculer. Enfin, le revenu est fixé au taux cohabitant vu la situation de l’intéressé.

Intérêt de la décision

Pour ce qui est du droit aux prestations sociales dans le chef de citoyens européens pendant les 3 premiers mois de leur séjour, nous renvoyons à l’arrêt de la Cour du travail du 13 juin 2022, qui contient un large rappel des décisions rendues par la Cour de Justice.

Ce premier arrêt a également précisé la notion de travailleur au sens de la Directive n° 2004/38/CE, notion qui a une portée autonome et ne doit pas être interprétée de manière restrictive.

La jurisprudence de la Cour de justice sur la notion est importante. Nous nous bornerons à rappeler un premier arrêt phare, étant l’arrêt MARTINEZ SALA du 12 mai 1998. Dans celui-ci, la Cour avait précisé que la notion de travailleur en droit communautaire n’est pas univoque mais varie selon le domaine d’application envisagé. Ainsi, la notion de travailleur utilisée dans le cadre de l’article 48 du Traité CE et du Règlement n° 1612/68 ne coïncide pas nécessairement avec celle qui a cours dans le domaine de l’article 51 du Traité CE et du règlement n° 1408/71.
Dans le cadre de l’article 48 du Traité et du Règlement n° 1612/68, doit être considérée comme un travailleur la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération. Une fois que la relation de travail a pris fin, l’intéressé perd en principe la qualité de travailleur, étant entendu cependant que, d’une part, cette qualité peut produire certains effets après la cessation de la relation de travail et que, d’autre part, une personne à la recherche réelle d’un emploi doit également être qualifiée de travailleur. Une personne a la qualité de travailleur au sens du règlement n° 1408/71 dès lors qu’elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d’une assurance obligatoire ou facultative auprès d’un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l’article 1er, sous a), du règlement n° 1408/71, et ce indépendamment de l’existence d’une relation de travail C.J.U.E., 12 mai 1998, n° C-85/96 (MARTINEZ SALA c/FREISTAAT BAYERN).

Dans le cadre de la Directive 2004/38/CE, a la qualité de travailleur toute personne qui exerce des activités réelles et effectives à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires.

Relevons encore que la lecture combinée de l’article 7, § 1er, sous a) et § 3, sous c), de la directive permet de retenir que le bénéfice du maintien du statut de travailleur est reconnu à tout citoyen de l’Union qui a exercé une activité dans l’Etat membre d’accueil, quelle que soit la nature de celle-ci (salariée ou non). Pour ce qui est du citoyen de l’Union qui a exercé une activité salariée ou non salariée dans l’Etat membre d’accueil pendant moins d’un an, il ne bénéficie du maintien de son statut de travailleur que pour une durée à fixer par l’Etat membre, pour autant qu’elle ne soit pas inférieure à 6 mois. Tel doit être le cas pour toutes les situations dans lesquelles un travailleur a été contraint, pour des raisons indépendantes de sa volonté, de cesser son activité avant l’échéance d’une année, quels que soient la nature de l’activité exercée et le type de contrat conclu. (C.J.U.E., 11 avril 2019, Aff. n° C-483/17 (TAROLA c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION).


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