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Un employé peut-il démissionner par courriel ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 2 octobre 2023, R.G. 22/1.612/A

Mis en ligne le vendredi 24 mai 2024


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 2 octobre 2023, R.G. 22/1.612/A

Dans un jugement du 2 octobre 2023, le tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle qu’une démission est soumise à des conditions de fond et de forme. Si la notification de la démission intervient de la main à la main, la preuve de la remise de l’écrit ne peut être rapportée que par la signature du double de celui-ci par l’employeur.

Les faits

Un représentant de commerce, engagé le 21 septembre 2020, remet sa démission le 10 décembre 2021 et annonce la prestation d’un préavis afin de clôturer les tâches en cours. Il fixe la fin de celui-ci à la fin du mois.

Cette démission est envoyée par courriel. L’intéressé précise dans celui-ci : « (…) je te prie de bien vouloir trouver en annexe ma lettre de démission, pourrais-tu l’accepter et me la renvoyer signée pour accord ».

Par courriel et courrier postal du même jour, l’employeur soulève la nullité du préavis et réclame une indemnité compensatoire de quatre semaines : il souligne que le préavis est nul, de nullité absolue, car n’ayant pas été notifié de la main à la main avec signature de l’employeur pour réception, ou par lettre recommandée ou par exploit d’huissier de justice.

L’employeur fait en outre grief au travailleur de ne pas avoir indiqué la durée du préavis ainsi que la prise de cours.

Il conclut que le contrat de travail prend fin le jour-même et que l’employé est libéré de toutes obligations contractuelles. L’employeur lui précise encore que vu la nullité du préavis, il est redevable d’une indemnité compensatoire.

Le lendemain, l’employé adresse un courrier recommandé à la société, intitulé « Réitération lettre de démission par recommandé ». Il précise qu’il s’est rendu le 9 décembre dans le bureau de l’employeur pour présenter sa démission avec deux documents, que ce dernier n’a pas voulu signer, au prétexte qu’il allait réfléchir. Il ajoute qu’il avait reçu une autre proposition de travail plus avantageuse et que l’employeur avait envisagé d’éventuellement s’ « aligner ». Etant resté sans nouvelles il a adressé le lendemain sa lettre de démission par mail demandant l’accord de l’employeur sur les modalités du préavis. Il précise encore que le préavis est de quatre semaines et qu’il débutera le lundi 13 décembre et courra jusqu’au vendredi 7 janvier.

La procédure judiciaire

La société introduit une procédure devant le tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) demandant la condamnation du représentant au paiement de l’indemnité compensatoire de préavis de quatre semaines.
Celui-ci forme une demande reconventionnelle par voie de conclusions, tendant au paiement de diverses sommes, celles-ci étant pour la plupart fixées à titre provisionnel.

La décision du tribunal

Le tribunal se penche en premier lieu sur la question de l’indemnité de rupture réclamée par l’employeur. Il rappelle l’article 37, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978, contenant les règles conditionnant la validité du préavis. Celui-ci est soumis à des règles de fond et de forme, devant prendre la forme d’un écrit signé, daté, individuel et respectant les prescriptions linguistiques, ce préavis devant être notifié à la partie adverse et devant contenir des indications spécifiques (début et durée).

En cas de démission, le tribunal souligne que les modes légaux de notification sont la remise par le travailleur de la main à la main d’un écrit ou la lettre recommandée à la poste ou encore l’exploit d’huissier de justice. La preuve de la remise de l’écrit ne peut être rapportée que par la signature du double de celui-ci par la partie qui a reçu le préavis, soit l’employeur. À défaut, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la notification est nulle. Le tribunal renvoie ici à une jurisprudence constante, dont Cass 25 avril 1988, cité par VAN EECKHAUTTE et NEUPREZ (Compendium social, Droit du travail, 22 – 23, page 2476).

Il passe ensuite à la doctrine de B. et M.C. PATERNOSTRE (« Nullité du préavis : bilan et perspectives », Orientations, 2022/2, pages 3 à 5). Selon ces auteurs, il y a nullité relative en cas de remise d’un écrit de la main à la main ou encore si est utilisé un mode de notification autre que ceux prévus par la loi. En cas de nullité relative, deux possibilités existent, étant que l’employeur ne renonce pas à invoquer la nullité et exige le paiement de l’indemnité compensatoire de préavis soit qu’il y renonce et l’acte juridique peut sortir ses pleins et entiers effets.

Ces règles concernent la nullité du préavis mais non celle du congé.

L’employé plaidant en l’espèce que la démission a été donnée mais été conditionnée à l’accord de l’employeur, le tribunal retient, de l’examen du texte, que tel n’est pas le cas et que la décision de rompre est ferme. Cette décision ayant été notifiée par un mode de notification autre que l’écrit remis à la main à l’employeur, il est nul. Le tribunal constate encore que vu la réaction de l’employeur l’on ne peut pas considérer qu’il a renoncé à se prévaloir de cette nullité.

L’indemnité de rupture est en conséquence due.

Le tribunal examine ensuite les autres points, vu la demande reconventionnelle de l’employé.

Ceux-ci étant purement factuels pour la plupart, seul est commenté le chef de demande relatif au remboursement de retenues non justifiées.

Il s’agit d’un montant de 1 200 € correspondant à des dégâts occasionnés selon l’employeur par l’employé à la carrosserie du véhicule de société, dégâts confirmés par un expert. Le demandeur (qui conteste tant la légalité que la justification de la retenue) se fonde sur l’article 18 de la loi relative aux contrats de travail et plus particulièrement sur l’absence de faute légère habituelle dans son chef.

Cette contestation amène dès lors le tribunal à reprendre les principes applicables, étant l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération, qui renvoie pour ce qui est des sommes pouvant être imputées sur la rémunération du travailleur aux indemnités et dédommagements dus en cas de mise en cause de la responsabilité du travailleur sur la base de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, cette disposition étant également reprise, vu la règle de limitation de responsabilité qu’elle contient. Vient également le rappel de l’article 19 de cette loi, selon lequel le travailleur n’est tenu ni des détériorations ni de l’usure dues à l’usage normal de la chose.

Il appartient dès lors à l’employeur qui entend mettre à charge du travailleur le coût de dommages causés par lui de prouver que ces dommages sont survenus en dehors de l’exécution du contrat ou –s’ils l’ont été pendant celle-ci – d’établir que l’article 18 de la loi est respecté. En l’espèce une ‘car policy’, signée par l’employé prévoit l’existence d’une franchise à charge de celui-ci (400 €).

Le tribunal examine dès lors les circonstances dans lesquelles les dégâts sont intervenus, constatant qu’une expertise les a confirmés, expertise organisée conjointement par les parties. Vu l’importance de ceux-ci, le tribunal rejette qu’il puisse s’agir de conséquences d’une usure normale du véhicule et vu leur localisation, qu’ils ne sont manifestement pas la conséquence d’un seul accrochage. Il retient dès lors une faute légère habituelle entraînant la responsabilité du travailleur. Il fait droit à ce chef de demande sous déduction de la franchise.

Enfin, l’employeur ayant retenu un montant correspondant à une prime de fin d’année sectorielle - qui aurait été payée indûment -, le tribunal examine les conditions de débition de celle-ci et constate, à partir de la convention collective applicable (CCT du 9 juin 2016) qu’en cas de démission, est exigée une condition d’ancienneté de cinq ans dans l’entreprise en plus de la présence de l’employé lors du paiement de la prime.

L’indu ayant été retenu sur les pécules de vacances, le tribunal rappelle que ceux-ci ne sont pas considérés comme rémunération au sens de l’article 2, alinéa 3, de la loi sur la protection de la rémunération et que l’article 23 de celle-ci ne trouve dès lors pas à s’appliquer. Il s’agit de respecter ici les règles de la compensation légale, judiciaire ou conventionnelle prévues aux articles 1289 à 1299 du Code civil.

Le tribunal fait droit à la position de l’employeur, qui était en droit de procéder à une compensation des montants.

Intérêt de la décision

C’est incontestablement l’indemnité compensatoire de préavis qui fait l’intérêt de ce jugement rendu le 2 octobre 2023 par le tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi).

Les règles relatives à la validité de la démission sont strictes. Il s’agit de règles de fond et de forme. Elles ont été résumées par le tribunal dans le corps du jugement et l’on peut constater que si une partie d’entre elles est respectée, d’une part l’employé n’avait pas repris les mentions obligatoires, à savoir l’indication de la date du début et de la durée du délai de préavis et de l’autre qu’il avait transmis l’acte de démission par courriel, mode de notification non prévu par la loi.

La doctrine citée par le tribunal précise que « dans l’état actuel du droit », un tel acte est frappé de nullité.

Contrairement à la position de l’employeur, la nullité n’est pas absolue mais relative. En l’espèce, l’employeur ayant eu la possibilité de renoncer à invoquer celle-ci mais ne l’ayant pas fait, le préavis a inévitablement sorti ses pleins et entiers effets, vu le caractère définitif du congé (qui n’est quant à lui pas affecté par les règles ci-dessus).


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