Terralaboris asbl

Protection de la maternité et discrimination sur la base du genre et de l’état de santé

Commentaire de C. trav. Anvers (div. Anvers) , 4 janvier 2024, R.G. 2022/AA/369

Mis en ligne le mercredi 26 juin 2024


Cour du travail d’Anvers (division Anvers), 4 janvier 2024, R.G. 2022/AA/369

Terra Laboris

Dans un arrêt du 4 janvier 2024, la cour du travail d’Anvers admet, comme le tribunal du travail avant elle, la possibilité, en cas d’infraction à la législation protégeant la grossesse et la maternité, de cumul de l’indemnité prévue à l’article 40 de la loi sur le travail avec celles fixées lieu par les deux lois anti-discrimination du 10 mai 2007 (loi tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes et loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination).

Les faits

Une société exploite une chaîne de magasins de vêtements et dépend pour son activité de la commission paritaire n° 311. Elle fait partie d’un holding international dont les activités (gros et détail) sont diversifiées dans le secteur du vêtement.

Elle a engagé une employée le 1er avril 2019, celle-ci étant chargée de la coordination du « payroll » du personnel.

En janvier 2020 celle-ci annonce à son employeur qu’elle sera absente pour congé de maternité du 27 avril au 9 août, cette période étant suivie de ses vacances annuelles, du 10 août au 6 septembre et qu’elle reprendrait à mi-temps (congé parental) du 7 septembre au 6 novembre.

Elle accoucha le 8 mai.

Elle adressa le 3 août un e-mail à son employeur exposant qu’elle ne pourrait reprendre à bref délai, pour des raisons de santé.

Son médecin rédigea un certificat médical pour la période du 31 juillet au 30 août, qu’elle envoya aussitôt.

La société lui adressa un courrier recommandé en date du 7 août la licenciant sur le champ avec paiement d’une indemnité de neuf semaines.

Le 10 août l’administrateur délégué de la société fit part en interne (via e-mail) du licenciement intervenu. C’est par celui-ci que l’intéressée apprit son licenciement, ayant été contactée par une collègue qui l’avait reçu.

Le 12 août, elle informa ses anciens collègues qu’elle avait réceptionné le courrier recommandé du 7.

Elle demanda à connaître les motifs du licenciement, conformément à la CCT n° 109 et ceux-ci lui furent donnés par courrier recommandé de l’employeur du 9 septembre.

Celui-ci donna des motifs d’ordre économique (diminution du chiffre d’affaires vu la crise du coronavirus, obligation de réduire les équipes, …), situation concernant, pour la société, non seulement le personnel de vente mais également le département HR. Il précisait avoir tenu compte dans les licenciements intervenus de l’ancienneté, du coût salarial, des tâches à effectuer et de la possibilité de les redistribuer parmi le personnel existant.

Par la voie de son conseil, l’intéressée réclama en date du 5 novembre diverses sommes, étant une indemnité de maternité et pour congé parental, ainsi qu’une indemnité pour discrimination directe sur la base du genre et/ou l’état de santé.

Aucun règlement amiable n’étant intervenu, l’employée procéda en justice.

L’auditorat du travail informa l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes de l’existence de la procédure et celui-ci intervint volontairement à la cause.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu la conformité du licenciement à la législation protégeant la maternité. Le fondement légal est l’article 40 de la loi sur le travail.

Il n’est pas contesté que l’intéressée a été licenciée pendant une période où elle était protégée par cette disposition. La cour précise que les motifs du licenciement doivent dès lors être tout à fait étrangers à l’état physique consécutif à la grossesse ou à la maternité.

La cour précise devoir vérifier que les motifs invoqués constituent réellement et effectivement le motif du licenciement, l’employeur ayant la charge de la preuve. En cas de doute sur les motifs eux-mêmes ou sur la question de savoir si ceux-ci sont les seuls à la base du licenciement et non l’état physique de la travailleuse, l’indemnité est due.

La cour note qu’à l’époque sévissait la crise du coronavirus mais que l’intéressée a été licenciée quatre jours après avoir transmis un certificat médical la reconnaissant incapable de travailler jusqu’à la fin du mois et qu’avant cet envoi il n’y avait aucune indication que la société risquait de la licencier.

Ainsi qu’elle le relève, il ressort des débats que la société a voulu éviter le paiement du salaire garanti jusqu’à la fin du mois d’août (et peut-être plus tard après une interruption pour vacances annuelles). C’est ceci qui explique le licenciement soudain intervenu le 7 août. Pour l’employeur, le souci d’éviter le paiement du salaire garanti serait un motif étranger au sens de l’article 40. La cour corrige en précisant que tel n’est évidemment pas le cas, puisque l’incapacité de travail est liée à l’accouchement. Selon le dossier en effet, il y eut des complications lors de celui-ci et l’enfant semblait traumatisé, requérant un suivi de soins particulier.

Le motif donné par l’employeur n’est dès lors pas étranger à l’état physique découlant de la grossesse ou de la maternité dès lors que la maladie de la mère est due à l’accouchement. Admettre le contraire constituerait une atteinte à l’essence même de la protection de la maternité.

Même si d’autres motifs sont avancés, la cour considère qu’il est sans intérêt de les examiner, puisque au moins un de ceux-ci est lié à la protection de la maternité.

En ce qui concerne la crise due au coronavirus, la cour ne minimise pas les difficultés liées à la situation mais constate que la société n’établit pas la nécessité de licencier dans son département HR.

Elle reprend ensuite des arguments de pur fait relatifs au déroulement de la relation professionnelle, la société produisant des déclarations de témoins aux fins d’accréditer sa thèse selon laquelle le licenciement est étranger à la protection légale.

L’employeur faisant encore valoir ici que l’intéressée aurait fait « exprès » d’adresser un certificat médical juste avant le début de ses vacances, la cour note qu’elle est tombée en incapacité avant le début de celles-ci et que l’employée avait l’obligation d’informer son employeur rapidement – ce qu’elle a fait. Elle rappelle également que les vacances n’ont pas pour but de remplacer des périodes d’incapacité de travail pour maladie (renvoyant à C.J.U.E., 21 juin 2012, Aff. n° C-78/11 (ANGED c/ FASGA, e.a.).

Elle confirme dès lors le jugement, qui a admis le droit de l’intéressée à l’indemnité légale.

La cour en vient ensuite à la question de la discrimination sur la base du genre et précise ici qu’un licenciement intervenu en contravention à l’article 40 de la loi sur le travail constitue en principe également une discrimination prohibée sur la base du genre et qu’il contrevient ainsi à la loi genre.

L’employeur ne renverse pas la présomption de discrimination. Pour ce faire il devrait établir que l’intéressée aurait également été licenciée si elle n’était pas tombée en incapacité de travail pour maladie à la suite de l’accouchement, preuve qui n’est pas rapportée.

En ce qui concerne la discrimination sur la base de l’état de santé, il y a ici également, vu la chronologie des faits, présomption de discrimination, présomption qui n’est pas davantage renversée, la société devant ici établir que l’employée aurait également été licenciée si elle n’avait pas été malade. Cette preuve non plus n’est pas rapportée.

La cour en vient à la question du cumul des indemnités, le tribunal ayant admis celui-ci et ayant condamné la société à trois fois un montant de l’ordre de 22 675 €.

Tout en relevant que la société n’émet pas de griefs particuliers sur cette question de cumul, elle développe une motivation circonstanciée confirmant la possibilité de celui-ci, aucune interdiction de cumul n’existant dans les textes et le dommage réparé par chacun de ceux-ci étant distinct.

La cour conclut sa décision en abordant quelques dernières questions. L’une concerne le droit pour l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes à la réparation d’un dommage moral de 1 €. Une autre vise le respect de la procédure de licenciement dans le secteur (eu égard à la convention collective du 23 septembre 2019). Pour la cour cette procédure ne devait pas être respectée, vu le motif donné par l’employeur, qui était d’ordre économique.

Enfin, elle ne fait pas droit à une demande d’affichage ou de publication de l’arrêt (les faits remontant à l’année 2020 et la mesure étant jugée sans intérêt) et statue sur les dépens.

Intérêt de la décision

L’intérêt particulier de l’arrêt rendu par la Cour du travail d’Anvers le 4 janvier 2024 réside dans le raisonnement de la cour, qui permet de conclure à l’existence d’infractions aux législations invoquées.

La cour a commencé son examen par la vérification des conditions de l’article 40 de la loi sur le travail, dont le mécanisme est mis à l’épreuve depuis 1971 : il appartient à l’employeur de démontrer la réalité de motifs étrangers à l’état de grossesse ou à la maternité et le lien de ceux-ci – s’ils sont avérés – avec le licenciement, s’agissant en outre d’établir la nécessité de la mesure (lien de causalité).

La cour énonce ensuite qu’un licenciement intervenu en contravention à l’article 40 de la loi sur le travail constitue en principe également une discrimination prohibée sur la base du genre et qu’il contrevient ainsi à la loi genre.

Ce lien étant fait, l’examen des conditions de la loi genre est facilité dès lors que l’employée établit des faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination (faits dont la chronologie est claire en l’espèce), ainsi que l’obligation subséquente pour l’employeur qui entend échapper au paiement de l’indemnité légale de renverser cette présomption. Pour ce qui est de la discrimination sur la base du genre, la cour a admis que l’employeur devrait dans ce cas prouver que l’employée aurait également été licenciée si elle n’était pas tombée en incapacité de travail pour maladie à la suite de l’accouchement.

Une discrimination supplémentaire peut en outre être invoquée, s’agissant de l’état de santé. Afin de renverser la présomption - ici également retenue eu égard à l’existence de faits permettant de présumer l’existence de la discrimination -, l’employeur devrait établir que l’employée aurait également été licenciée si elle n’avait pas été malade.

L’on notera enfin que la cour admet la possibilité de cumul essentiellement au motif que celui-ci n’est interdit par aucun texte et que le dommage réparé n’est pas le même.


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