Terralaboris asbl

Secteur public : accident causé par un tiers en raison des fonctions

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Binche), 12 mars 2024, R.G. 22/2.049/A

Mis en ligne le mercredi 26 juin 2024


Tribunal du travail du Hainaut (division Binche), 12 mars 2024, R.G. 22/2.049/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 12 mars 2024, le Tribunal du travail du Hainaut (division de Binche) a jugé que l’application de la loi du 3 juillet 1967 en cas d’accident survenu à un agent du secteur public en dehors de l’exercice de ses fonctions n’est pas limitée à l’hypothèse de représailles liées à celles-ci, la disposition visant l’exercice des fonctions elles-mêmes.

Les faits

Une éducatrice, occupée au sein d’une école secondaire dépendant de l’enseignement spécialisé organisé par la Province du Hainaut a réceptionné au bureau de poste un courrier recommandé lui adressé par la Fédération Wallonie Bruxelles.

Le courrier lui annonce son écartement sur le champ de sa fonction de membre du personnel pour des faits qualifiés d’« interpellants ». La décision précise qu’il lui est loisible d’introduire un recours devant le Conseil d’État dans les 60 jours. La lettre contient également des rapports et témoignages relatifs aux faits en cause.

Elle en informe sa hiérarchie (enseignement spécialisé de la Province du Hainaut) et un courrier est immédiatement adressé par la chef de division à la Fédération Wallonie Bruxelles, précisant que l’intéressée, à la réception de l’envoi recommandé, a été fortement déstabilisée et n’a pas compris immédiatement que les faits reprochés ne la concernaient pas elle mais une autre enseignante portant le même patronyme. Était encore précisé dans ce courrier que « (notre) agent a vraiment eu très peur… »).

Quelques jours plus tard, l’intéressée a complété une déclaration d’accident du travail, précisant qu’elle avait subi un choc émotionnel immédiat et intense à la réception du courrier recommandé et une attaque de panique ainsi qu’un état de choc post-traumatique important et une désorientation totale avec idées suicidaires.

Une période d’incapacité de travail a été prescrite par le médecin traitant pour une durée d’un mois, celui-ci ayant diagnostiqué un stress post-traumatique très sévère.

Cinq semaines après l’envoi du courrier, la Fédération Wallonie Bruxelles lui envoya une lettre confirmant que le courrier d’écartement devait être considéré comme nul et non avenu.

Dans un courrier ultérieur, l’autorité rejeta l’accident du travail au motif que celui-ci doit intervenir pendant et par le fait de l’exécution du contrat de travail et causer une lésion. La réception d’un courrier émanant d’un autre pouvoir organisateur (étant un autre employeur) ne pouvait être considéré comme un accident du travail, celui-ci étant un tiers à la relation contractuelle entre elle-même et son pouvoir organisateur. Elle précisa encore ultérieurement qu’il n’y avait pas d’événement soudain.

L’intéressée introduisit un recours devant le tribunal du travail du Hainaut (division de Binche) par requête du 28 décembre 2022.

La décision du tribunal

Le tribunal souligne que la loi du 3 juillet 1967 définit l’accident non seulement comme celui survenu dans le cours et par le fait de l’exercice des fonctions et qui produit une lésion (article 2, 1er et 2e alinéas) mais également comme celui qui est subi par le membre du personnel en dehors de l’exercice de ses fonctions mais qui lui est causé par un tiers du fait des fonctions exercées par ce membre du personnel (alinéa trois).

Le tribunal constate en premier lieu que la lésion est avérée, vu l’existence d’un stress post-traumatique établi par un dossier médical.

Il a en vient, ainsi, à la question de savoir s’il y a eu un événement soudain.

Son examen se fait en deux temps.

Il convient, selon le jugement, en premier lieu d’examiner si les faits sur lesquels se fonde la partie demanderesse sont établis. La preuve peut être apportée par toutes voies de droit, y compris par des présomptions, le fait devant reposer sur un ou plusieurs indices sérieux et précis.

La déclaration de l’accident et de ses circonstances est un élément de preuve. Si elle permet de conclure à la vraisemblance des faits relatés et que par ailleurs les dires de la victime ne sont pas infirmés ou à tout le moins rendus douteux, la preuve de l’accident est acquise.

Le tribunal constate que les déclarations de l’intéressée n’ont jamais varié dans le temps et les reprend. Il s’agit de déclarations concordantes et celles-ci sont confortées par des éléments de fait avérés.

Dans un second temps, le tribunal examine si ces faits constituent un événement soudain au sens de l’article 9 de la loi du 10 avril 1971.

Il renvoie à un seul arrêt – déterminant – de la Cour de cassation, étant celui rendu le 15 avril 2002 (Cass., 15 avril 2002, S.01.0079.F) et en reprend un extrait, ayant été retenu en l’espèce l’impact soudain d’une cause extérieure sur l’organisme - à savoir l’émotion liée à la vision par le demandeur de collègues choqués suite à une tentative de hold-up et aux dégâts causés par celle-ci sur le lieu de travail ainsi qu’au désordre consécutif à cet événement survenu quelques temps auparavant.

La Cour de cassation a admis que le juge d’appel avait légalement conclu à l’existence d’un événement soudain, étant la perception par le travailleur de cette émotion, celle-ci reposant sur des éléments objectifs.

Le tribunal considère en l’espèce que la demanderesse fait état d’un événement particulier et que la loi n’exige pas que l’événement soudain soit grave, lourd, méchant,… non plus que l’existence de menaces ou d’actes de violence. Le fait étant épinglé à suffisance de droit, la lésion étant par ailleurs constatée, la présomption de causalité joue.

Le tribunal en vient enfin à la condition invoquée par la partie défenderesse que l’événement soudain doit être survenu au cours de l’exécution du contrat, celle-ci considérant également que l’alinéa 3, 2° n’est pas d’application, dans la mesure où celui-ci viserait le membre du personnel victime de représailles en raison non de sa personne mais de la fonction exercée, étant qu’il est l’expression de l’autorité qu’il représente.

Il ne suit pas cette argumentation, au motif que l’objectif poursuivi par la disposition est qu’un événement lié aux fonctions peut être considéré comme un événement soudain même s’il survient en dehors du cours du travail et que si les actes de représailles sont mentionnés dans les travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 1973 (qui a modifié l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967), c’est à titre d’exemple.

En l’espèce, un autre pouvoir organisateur étant à l’origine de l’envoi recommandé, l’accident a été causé par un tiers et si l’intéressée l’a reçu c’est en raison de sa qualité de membre du personnel enseignant.

Il fait dès lors droit à la demande et désigne un expert.

Intérêt de la décision

Le premier point d’intérêt de ce jugement est le renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 avril 2002 (S.01.0079.F) où a été admis comme événement soudain le choc causé chez un travailleur non par un événement violent en lui-même (un hold up) mais par l’émotion de ses collègues ainsi que le désordre considérable de son lieu de travail. La Cour y a retenu l’impact soudain d’une cause extérieure sur l’organisme, condition qui n’est cependant pas exigée de manière générale pour la qualification de l’événement soudain, dans la mesure où la cause extérieure n’est pas un élément de la définition légale.

Le second réside dans l’interprétation de l’article 2, alinéa 3, 2°, de la loi du 3 juillet 1967. Celui-ci dispose qu’est également considéré comme accident du travail l’accident subi par le membre du personnel en dehors de l’exercice de ses fonctions mais qui lui est causé par un tiers (du fait des fonctions exercées par ce membre du personnel). S’il est exact que l’hypothèse la plus fréquente est celle des représailles (la jurisprudence concernant généralement des membres des forces de police), le tribunal confirme en l’espèce que cette situation est donnée dans les travaux préparatoires à titre d’exemple et que la loi ne limite pas cette extension à ce cas, étant visé l’exercice des fonctions et non seulement la situation où l’accident survient du fait que la victime représente l’autorité.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be