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Interdiction du cumul d’indemnités versées dans le cadre d’un plan social avec les indemnités en AMI

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 12 janvier 2024, R.G. 2022/AL/534

Mis en ligne le jeudi 27 juin 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 12 janvier 2024, R.G. 2022/AL/534

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 12 janvier 2024 conclut à l’interdiction du cumul d’indemnités versées dans le cadre d’un plan social d’entreprise avec les indemnités de mutuelle, au motif que ces indemnités peuvent être qualifiées de ‘rémunération’.

Les faits

Un employé tomba en incapacité travail le 9 septembre 2019.

Il fut mis un terme à son contrat de travail un mois plus tard dans le cadre d’un plan social.

Il perçut (notamment) une indemnité de congé équivalente à 13 semaines de rémunération, couvrant la période du 7 octobre 2019 au 25 janvier 2020. La mutuelle n’a repris l’indemnisation, en conséquence, qu’à partir du 6 janvier.

L’intéressé ayant perçu une « indemnité de rupture » en sus, son organisme assureur lui adressa un courrier recommandé le 12 mars 2020 l’informant du caractère indu des indemnités qui lui avaient été versées pour la période du 6 au 31 janvier.

Cette indemnité correspond à deux « primes », étant d’une part une « prime unique » de 15 000 € bruts et de l’autre une « prime d’ancienneté » de 3 780 €.

Ces indemnités correspondent à des « primes additionnelles » prévues dans une convention collective de travail conclue au sein de l’entreprise en faveur des travailleurs licenciés dans le cadre du plan social.

Dans un premier temps, l’intéressé s’engagea à rembourser l’indu mais contesta, ensuite, par le dépôt d’une requête auprès du tribunal du travail de Liège, division Liège.

Une autre requête fut déposée par l’organisme assureur enfin d’obtenir la condamnation de son assuré au remboursement des indemnités indûment perçues, dans sa thèse, pour la période du 6 au 31 janvier 2020.

La décision du tribunal du travail

Celui-ci ordonna la jonction des deux causes, pour connexité et, sur le fond, considéra que les primes constituaient une rémunération au sens de l’article 103, § 1er, 1°, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. L’assuré social fut dès lors condamné à rembourser.

Il interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant conteste que le montant perçu au titre d’indemnité de rupture constitue une telle indemnité au sens de l’article 103, § 1er, 3°, de la loi, la seule indemnité pouvant être ainsi qualifiée étant l’indemnité compensatoire de préavis, qui couvre une période qui a pris fin le 5 janvier 2020. Il s’agit, pour lui, d’un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale, l’article 103, § 1er, 1°, renvoyant sur ce point à la loi du 12 avril 1965.

Il reproche également à l’organisme assureur d’avoir considéré que ces primes couvraient la période du 6 au 31 janvier 2020 alors que leur paiement est intervenu le 6 octobre 2019, la fixation de la période d’interdiction de cumul n’étant pas justifiée légalement.

Quant à l’organisme assureur, il maintient qu’il s’agit d’une rémunération au sens de l’article 103, § 1er, 1°, et qu’elle couvrait la période litigieuse, le montant ayant été converti en nombre de jours indemnisés (164 en l’espèce).

L’avis du ministère public

Pour M. l’Avocat général, même si les primes ne peuvent être considérées comme des indemnités de rupture (103, § 1er, 3°,) elles constituent néanmoins une rémunération au sens de cette disposition (103, § 1er, 1°,) à défaut de pouvoir être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale au sens de la loi du 12 avril 1965.

Par ailleurs, ces indemnités n’étant pas cumulables avec les indemnités de maladie, il y a eu une conversion en nombre de jours indemnisés. Le ministère public conclut que l’appel est non fondé.

La décision de la cour

La cour reprend le texte de l’article 103, § 1er de la loi coordonnée, dont le 1° interdit le cumul « pour la période pour laquelle (le travailleur) a droit à une rémunération. La notion de rémunération est déterminée par l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs… ». De même, le cumul est interdit « pour la période pour laquelle (le travailleur) peut prétendre à une indemnité due à la suite de la rupture irrégulière du contrat de travail, de la rupture unilatérale du contrat de travail pour les délégués du personnel, de la rupture unilatérale du contrat de travail pour les délégués syndicaux ou de la cessation du contrat de travail d’un commun accord, ou à une indemnité en compensation du licenciement visée dans l’article 7, § 1er, alinéa 3, zf), de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ».

Elle rappelle ensuite l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, s’attachant à la notion de rémunération. Au sens de cette loi, il suffit que le travailleur ait droit à un montant ou un avantage à charge de l’employeur en raison de son engagement, ceux-ci sont une rémunération et ne doivent pas nécessairement constituer la contrepartie d’une prestation de travail ni même résulter de l’exécution du contrat de travail, pouvant également s’agir d’avantages relatifs à la cessation ou à la suspension de l’engagement.

Le caractère particulièrement large de la notion est souligné, avec renvoi notamment à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009 (Cass., 5 janvier 2009, S.08.0064.N).

Vient ensuite la définition du « complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale » tels que visé à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965, la cour renvoyant ici également à l’enseignement de la Cour de cassation, dont un arrêt du 25 mars 2019 (Cass., 25 mars 2019, S.17.0048.F). En vertu de celui-ci, « pour pouvoir être considérée comme un tel complément, l’indemnité doit avoir pour objet de compenser la perte des revenus du travail et/ou l’accroissement des dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale ».

Elle s’appuie ensuite sur un arrêt du 9 octobre 2020 de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 9 octobre 2020, R.G. 2018/AL/642 – autrement composée), qui, statuant sur la question du cumul des indemnités de maladie avec d’autres ressources dont le titulaire pourrait disposer, a rappelé que la loi du 27 juin 1969 a élargi cette interdiction, les travaux préparatoires précisant que les indemnités ne seraient plus accordées dans des circonstances où, en vertu de la législation du travail ou de certaines normes contractuelles ou statutaires, le travailleur a droit à des sommes égales au niveau de la rémunération perçue ou qui s’en approchent.

Renvoyant encore aux travaux préparatoires de la loi du 27 juin 1969, la cour conclut que le fait qu’une indemnité perçue par un travailleur dans le cas de la rupture du contrat ne constitue pas une indemnité de rupture au sens du 3° de l’article 103, § 1er, ne s’oppose pas à ce qu’elle puisse s’il échet être considérée comme constitutive d’une rémunération au sens de l’article 103, § 1er, 1° et de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965.

La cour examine dès lors en l’espèce la nature des primes litigieuses, étant essentiellement la prime fixe de 15 000 € et la prime d’ancienneté de 1 260 € par année d’ancienneté complète. Ces primes ne représentent pas une indemnité de rupture mais elles peuvent néanmoins constituer de la rémunération au sens des dispositions applicables.

Elle conclut que tel est effectivement le cas puisque le travailleur disposait d’un droit au paiement de celles-ci à charge de son employeur en raison de son engagement et qu’elles ne peuvent être considérées comme constituant un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale vu qu’elles n’ont pas pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale.

La cour souligne que la réglementation relative à l’assurance maladie et invalidité a un caractère d’ordre public, en considération duquel « il n’appartient pas aux parties de déterminer elles-mêmes la nature juridique des avantages dont elles conviennent ». Ceci relève de la compétence exclusive du juge.

Sur la question de la période à laquelle les primes litigieuses se rapportent, si rien ne figure à cet égard dans la loi et que le montant de celles-ci n’a par ailleurs pas été fixé en fonction d’une période particulière indemnisée, ceci ne signifie pas que la période visée à l’article 103, § 1er, 1°, de la loi n’est pas déterminable. La cour renvoie à un autre arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 29 juillet 2021, R.G. 2018/AL/642 – arrêt de réouverture des débats suite à celui du 9 octobre 2020), sur la ratio legis de l’article 103, § 1er, 1°.

La cour admet la méthode retenue par l’organisme assureur, qui a divisé le montant total des primes litigieuses par le taux journalier de la rémunération dont l’intéressé bénéficiait au sein de la société, aboutissant à une période de 164 jour non indemnisable, soit une période de six mois et huit jours dans un régime de six jours par semaine.

La cour confirme dès lors le jugement dont appel.

Intérêt de la décision

Cette question spécifique de cumul est d’actualité dans la jurisprudence récente et, particulièrement, au sein de la juridiction liégeoise.

Nous avons commenté un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 7 mars 2024 (C. trav. Liège (div. Namur), 7 mars 2024, R.G. 2023/AN/75 – disponible sur SocialEye - 20 mars 2024), qui a conclu en sens inverse, admettant le cumul entre d’une part les indemnités AMI et de l’autre les indemnités versées dans le cadre d’un plan social élaboré à l’occasion d’un licenciement collectif.

Si celles-ci n’ont pas le caractère d’indemnité de rupture au sens de l’article 103, § 1er, 3° de la loi, c’est son 1° qui fait l’objet d’une interprétation différente dans les deux arrêts.

L’on notera notamment que dans l’arrêt du 7 mars 2024, la cour s’attache à la notion de rupture (ir)régulière reprise dans le 3° et à l’énumération faite à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 des montants ou avantages évaluables en argent pouvant être considérés comme étant de la rémunération (disposition à laquelle il est renvoyé), tandis que le présent arrêt conclut à l’interdiction de cumul à partir de la ratio legis du 1°.

Vu les solutions diamétralement opposées tirées à partir de ces dispositions, il nous parait souhaitable que la Cour de cassation intervienne dans un souci de sécurité juridique.


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