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Personnes atteintes d’un handicap : conditions d’octroi du budget d’assistance personnelle en Région wallonne

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 mars 2024, R.G. 2023/AL/319

Mis en ligne le jeudi 27 juin 2024


Cour du travail de Liège (division Liège), 20 mars 2024, R.G. 2023/AL/319

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 mars 2024, la Cour du travail de Liège (division Liège) écarte pour inconstitutionnalité l’arrêté du gouvernement wallon du 4 mai 2017, le texte étant source de discrimination prohibée.

Les faits

Une assurée sociale née en 1968 et présentant un handicap majeur (évalué à 17 points) a sollicité un budget d’assistance personnelle (BAP) en avril 2017.

L’AVIQ a considéré que les conditions d’intervention permettant d’en bénéficier étaient remplies mais qu’il n’était pas en mesure d’octroyer un budget, au motif des crédits disponibles et des critères de priorité prévus par la réglementation pour les demandes introduites depuis 2009.

La demande a dès lors été placée sur une liste d’attente.

L’intéressée a introduit une procédure judiciaire, saisissant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) par requête du 25 juillet 2017.

Rétroactes de procédure

Le tribunal a rendu un jugement le 17 décembre 2018, soulevant un manquement dans le chef de l’AVIQ (défaut d’examen par un médecin aux fins de préciser la pathologie) et a invité l’intéressée à introduire une nouvelle demande pour l’exercice 2018. Le tribunal a également désigné un expert.

Appel a été interjeté par l’AVIQ.

Un arrêt a été rendu par la cour du travail, le 18 juin 2020, ordonnant la réouverture des débats sur deux points, étant d’une part la recevabilité de l’appel et d’autre part la légalité de l’arrêté ministériel du 4 mai 2017.

Un nouvel arrêt a été rendu le 9 juin 2021, concluant à l’irrecevabilité de l’appel dans la mesure où le jugement rendu était un jugement avant-dire droit se bornant à ordonner une mesure d’instruction et ne comportant aucune décision définitive (n’ayant au demeurant pas statué sur la recevabilité de l’action).

Entre-temps l’expertise a eu lieu, l’expert ayant déposé son rapport le 7 juillet 2022.

Ce rapport a été entériné par le tribunal du travail dans un jugement du 14 juin 2023, celui-ci décidant que vu de la nature de maladie il y avait lieu de condamner l’AVIQ à payer le budget d’assistance personnelle depuis l’année 2017, soit une somme provisionnelle de l’ordre de 95 000 €, pour les années 2017 à 2022.

L’AVIQ a interjeté appel.

Position des parties devant la cour

L’AVIQ considère que la demande originaire devait être déclarée irrecevable, dès lors que la décision était favorable à la demanderesse et que celle-ci ne justifie d’aucun intérêt à la contester. Sur le fond, il plaide que l’intéressée ne correspond pas aux priorités prévues par la réglementation, la maladie dont elle souffre ne pouvant être reprise dans aucune des maladies listées et les crédits budgétaires disponibles ne permettant actuellement pas de financer une telle demande d’intervention. Celle-ci concerne une maladie assimilable à celles figurant dans l’arrêté ministériel mais la liste énumérée dans celui-ci est exhaustive et limitative. Il n’y a dès lors pas de discussion médicale, la question étant budgétaire. Il plaide que le pouvoir judiciaire ne peut s’immiscer dans la compétence du pouvoir exécutif portant sur la gestion d’une enveloppe budgétaire fermée.

Quant à l’intéressée, elle estime avoir un intérêt à l’action, l’intérêt étant le résultat, c’est-à-dire l’avantage matériel ou moral effectif et non théorique de sa demande. Par ailleurs elle considère être dans les conditions pour bénéficier d’une des priorités. Subsidiairement, elle demande l’écartement des arrêtés ministériels fixant les priorités d’octroi (4 mai 2017, 17 avril 2018 et 10 mai 2019), l’AVIQ n’exposant pas en quoi le choix s’est porté sur six maladies exclusivement sans aucune possibilité d’assimilation de maladies semblables.

L’avis du ministère public

Celui-ci considère que l’article 2 de l’arrêté ministériel du 4 mai 2017 viole les articles 10 et 11 de la Constitution vu qu’il traite de manière différente sans qu’apparaisse une justification raisonnable des catégories de personnes se trouvant dans des situations essentiellement similaires. Il y a une lacune réglementaire dans la mesure où le ministre n’a pas prévu la possibilité d’octroi du budget d’assistance personnelle à d’autres personnes souffrant d’une maladie assimilable. Une application stricte de l’article 159 serait, selon M. l’Avocat général, de peu d’utilité, vu qu’aucun droit pour l’intéressée ne pourrait en découler. La lacune réglementaire doit être comblée en étendant le champ d’application de l’article 2 de cet arrêté ministériel à l’intéressée.

La décision de la cour

La cour souligne en premier lieu l’apport de l’article 22ter dans la Constitution, depuis le 30 mars 2021, celui-ci consacrant le droit à l’inclusion des personnes en situation de handicap, la protection de celui-ci devant être garanti par les différents législateurs compétents.

Elle qualifie cet ajout de « duplication concentrée, au sein de l’ordre juridique belge, du cadre existant à l’échelle onusienne », étant l’expression d’un choix de la société en matière de handicap (l’inclusion requérant de celle-ci qu’elle considère les besoins de personnes en situation de handicap au contraire de l’intégration, qui suppose une démarche unilatérale d’adaptation des personnes handicapées à leur environnement). La cour renvoie ici à la doctrine de I. HACHEZ (I. HACHEZ, « La consécration constitutionnelle du droit à l’inclusion des personnes en situation de handicap (article 22ter). De la duplication du cadre juridique aux desseins de politiques publiques », J.T., 2022, page 17 et suivantes).

La cour passe ensuite à l’examen des dispositions spécifiques applicables, sises dans la partie décrétale du Code wallon de l’action sociale et de la santé. Elle reprend plus particulièrement les articles 797 à 820 de celui-ci, renvoyant à la définition d’ « assistance personnelle » figurant à l’article 798 : celle-ci vise « à compenser les incapacités du bénéficiaire dues à ses déficiences en lui fournissant l’aide et l’assistance demandée, sous forme de financement des prestations réalisées par un ou des assistants personnels, en vue de se maintenir dans son milieu de vie ordinaire, d’organiser sa vie quotidienne et de faciliter son intégration familiale, sociale et professionnelle ».

L’article 804 a prévu la possibilité pour le ministre de déterminer annuellement dans les limites des crédits disponibles les priorités d’octroi d’un budget d’assistance personnelle sur proposition de l’AVIQ. Ainsi, un arrêté a été pris par le Gouvernement wallon le 4 mai 2017 fixant les priorités d’octroi du budget pour l’exercice 2017. Un autre arrêté est intervenu en 2019 ajoutant une priorité supplémentaire. Les mêmes priorités ont été fixées pour 2020 par un arrêté du 14 juillet 2020. De nouvelles priorités ont encore été ajoutées en 2021 par un nouvel arrêté du 24 novembre 2021. Sont dès lors retenues quatre priorités, qui ont été confirmées par arrêté ministériel du 30 janvier 2023 pour les années 2022 et 2023.

Après ce rappel des textes, la cour en vient à la question de la recevabilité de la demande originaire, qui est contestée. Sur cette question, elle juge que la détermination des priorités d’octroi prévues par l’arrêté du gouvernement n’échappe pas au contrôle des cours et tribunaux. Le recours est recevable dès lors que la demanderesse est in concreto lésée par l’application des critères de priorité et qu’elle demande que le budget d’assistance personnelle lui soit effectivement octroyé depuis 2017 par le biais d’une application des critères existants (assimilation) ou par l’écartement du texte.

La cour examine dès lors la constitutionnalité de l’arrêté du gouvernement wallon du 4 mai 2017et conclut ici que ce n’est pas le principe du choix de gestion budgétaire de l’enveloppe fermée qui est mis en cause (celui-ci étant énoncé dans l’article 804 du Code réglementaire) mais la détermination de cette priorité et donc la mise en œuvre de la délégation par le pouvoir exécutif. La norme litigieuse est de nature réglementaire, ce qui fonde la compétence de la cour. Celle-ci renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 (Cass., 5 novembre 2020, C.18.0541.F), qui enseigne que « toute juridiction contentieuse a le pouvoir et le devoir de contrôler la légalité interne et externe de tout acte administratif sur lequel se fonde une action, une défense ou une exception ».

La cour rejoint le ministère public sur le constat de l’existence d’une discrimination, étant une différence de traitement entre des personnes se trouvant dans une situation comparable. Elle rappelle le droit à l’inclusion de la personne souffrant d’un handicap, qui est un droit fondamental et qui requiert de la société qu’elle considère les besoins des personnes dans cette situation.

Elle considère que la différence de traitement ne présente pas de caractère objectif et raisonnable de nature médicale, qu’elle n’apparaît pas pertinente par rapport aux objectifs poursuivis et qu’elle produit des effets disproportionnés.

La cour conclut dès lors à l’existence d’une discrimination et donc à l’inconstitutionnalité de cet arrêté du gouvernement wallon du 4 mai 2017.

En conséquence du constat d’inconstitutionnalité, aucun critère de priorité n’est applicable et seules existent les conditions d’octroi établies par le Code réglementaire, la norme litigieuse étant écartée. Il ne s’agit pas en l’espèce de combler une lacune en édictant de nouveaux critères de priorité : la norme réglementaire contestée étant écartée, l’octroi doit intervenir sur la base des normes existantes.

La cour ordonne une réouverture des débats sur les décomptes.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 18 juin 2020 (C. trav. Liège (div. Liège), 18 juin 2020, R.G. 2019/AL/26) a été précédemment commenté.

Il avait déjà posé la question de la régularité de la réglementation mais celle-ci n’avait pu être tranchée, dans la mesure où après la réouverture des débats ordonnée, il avait dû conclure à l’irrecevabilité de l’appel. Il avait en effet conclu que dès lors que ni les motifs ni le dispositif du jugement ne prenaient position sur cette question et n’y apportaient une solution épuisant la juridiction du tribunal, le jugement attaqué n’avait pas statué sur la recevabilité de la demande originaire même si celle-ci avait été contestée devant lui et que l’article 875bis du Code judiciaire l’obligeait, en règle, à la trancher avant d’ordonner une mesure d’instruction. Le jugement se bornant, avant dire droit, à ordonner une mesure d’instruction et à réserver à statuer pour le surplus, sans comporter aucune décision définitive et n’ayant pas été rendu immédiatement appelable, un appel à son encontre ne pouvait être formé qu’avec l’appel contre le jugement définitif.

L’arrêt du 20 mars 2024 tranche la question, l’arrêté ministériel étant écarté en totalité.

L’on notera les positions différentes du ministère public et de la cour quant à la manière de remédier à la discrimination constatée, le ministère public ayant dans son avis estimé que la lacune réglementaire devait être comblée en étendant le champ d’application de l’article 2 de l’arrêté à l’intéressée et la cour ayant conclu que la norme réglementaire contestée ayant été écartée, l’octroi devait intervenir sur la base des normes existantes. Il s’agit pour la cour de retenir uniquement les conditions d’octroi établies par le Code réglementaire, aucun critère de priorité n’étant applicable.


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