Terralaboris asbl

Une différence de traitement ne peut être fondée sur l’origine nationale que si elle se justifie par une considération très forte

Commentaire de Cass., 8 décembre 2008, R.G. S.07.0114.F

Mis en ligne le lundi 15 juin 2009


Cour de cassation, 8 décembre 2008, R.G. n° S.07.0114.F

TERRA LABORIS ASBL - Sandra CALA

Dans un arrêt du 8 décembre 2008, la Cour de cassation a accueilli un pourvoi contre un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 10 septembre 2007 (commenté), qui avait considéré que, en droit belge, pour les personnes handicapées de nationale étrangère non visées par l’article 4 de la loi du 27 février 1987, des droits équivalents existent dans d’autres régimes, la répartition de la charge des différentes prestations relevant d’une politique budgétaire et que le juge n’avait pas à s’immiscer dans ce choix. C’est par cette motivation qu’il avait conclu à l’existence de considération très forte justifiant l’exclusion de certains étrangers du droit aux allocations.

Rappel de la position de la cour du travail dans son arrêt du 10 septembre 2007

La cour du travail avait considéré que l’origine nationale ne figure dans la Convention européenne des droits de l’homme comme critère de distinction prohibée que parmi d’autres. La cour du travail avait repris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et s’était posé la question de savoir si celle-ci devait aboutir à une égalité absolue, sans aucune distinction dans l’octroi de toutes les allocations sociales. La cour avait considéré que les Etats membres restaient libres de réserver certaines prestations à des personnes qui présentent un lien suffisant avec le pays concerné pour autant, cependant, que ceux-ci ne compromettent pas le droit fondamental de celles-ci de mener une vie conforme à la dignité humaine.

La cour avait réexaminé, ensuite, le droit français, qui avait abouti à l’affaire Koua Poirrez et le droit belge, pour constater que celui-ci constitue un régime d’assistance, régime distinct de la sécurité sociale. Après avoir constaté que l’allocation de remplacement de revenus aux personnes handicapées était du même montant (avant enquête sur les ressources) et que l’allocation d’intégration pouvait être sollicitée dans le cadre de l’aide sociale, elle en avait conclu que l’état avait fait un choix de politique budgétaire, dans laquelle le risque social des personnes handicapées adultes ne se trouvait pas à la charge de l’Etat fédéral, mais pouvait être pris en compte par le Fonds des communes et l’Etat fédéral, dans le cadre de l’octroi du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale.

Le pourvoi

Le pourvoi faisait valoir qu’une prestation sociale non contributive telle que les allocations aux personnes handicapées prévues par la loi du 27 février 1987 constitue un droit patrimonial au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il s’agisse de l’allocation de remplacement de revenus ou de l’allocation d’intégration. En conséquence, l’article 14 de la Convention est applicable à l’octroi de celle-ci.

En vertu de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le pourvoi soulignait que l’application d’une disposition du droit national qui y est contraire est interdite, sans référence à l’objet du droit consacré par cette disposition. Il s’agit d’un principe d’égalité applicable à tous droits reconnus par l’état contractant. Cette disposition prévoit en effet que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection. La loi doit interdire toute discrimination et garantir à tous une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment d’origine nationale ou sociale.

Il examine ces principes au regard de la loi du 27 février 1987, qui prévoit notamment que l’étranger qui a sa résidence réelle en Belgique et qui est inscrit régulièrement au registre des étrangers mais qui ne fait pas partie de catégories visées à son article 4 (qui vise les belges, les ressortissants d’un pays de l’Union européenne, les citoyens marocains, algériens ou tunisiens qui satisfont aux conventions du règlement C.E.E. n° 1408 ou encore les apatrides et réfugiés ou les personnes exclues des catégories précédentes mais qui ont bénéficié jusqu’à l’âge de vingt et un ans de la majoration de l’allocation familiale) retient que ces personnes n’ont pas droit aux allocations pour personnes handicapées même si elles remplissent les autres conditions légales. La distinction opérée par l’article 4 de la loi du 27 février 1987 repose donc sur l’origine nationale. Or, selon le pourvoi, les articles 1er et 14 de la Convention ainsi que l’article 1er du premier protocole additionnel à celle-ci n’admettent de distinction de cet ordre qu’à la condition qu’elle ne soit pas discriminatoire, c’est-à-dire (article 14) qu’elle ne soit pas dénuée de justification objective et raisonnable, en d’autres termes, qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou qu’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Dans la marge d’appréciation des états, pour appliquer cette règle, seules « des considérations très fortes » peuvent justifier une telle différence de traitement.

Le pourvoi souligne en outre que la dérogation au principe d’égalité contenu dans l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne peut être admise que sous la condition (double) de légitimité et de proportionnalité.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, le pourvoi retient que la cour a admis que les allocations en cause constituent un « bien » garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel mais que, en l’espèce, les motifs retenus par l’arrêt ne contiennent pas des « considérations très fortes » susceptibles de justifier une différence de traitement fondée exclusivement sur ce critère.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation reprend les principes contenus à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit qu’une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable (c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé) et que, si les Etats contractants jouissent d’une marge d’appréciation dans la justification des distinctions de traitement permettant de justifier des différences entre des situations analogues à d’autres égards, seules des considérations très fortes ne sont admises dès lors qu’il s’agit de justifier une différence de traitement uniquement sur le critère de nationalité.

Une personne a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi. Les principes généraux du droit international de l’article 14 sont violés si le juge du fond se borne à énoncer que les Etats peuvent réserver certaines prestations à des personnes qui présentent un lien suffisant avec le pays concerné pour autant que cela ne compromette pas le droit fondamental des personnes exclues de ces prestations de mener une vie conforme à la dignité humaine, que cela ne spolie pas ces personnes des droits constitués sur la base des contributions qu’elles auraient faites au régime de sécurité sociale et qu’il ne s’agisse pas de prestations qui, telle l’assurance soins de santé, sont un élément essentiel de la protection sociale des résidents.

La Cour de cassation rejette donc que, sur cette base, l’étranger puisse être exclu en raison de son origine nationale, des allocations aux personnes handicapées, au motif qu’il pourrait en obtenir d’autres d’un montant équivalent dans un autre régime, la répartition de la charge étant un choix de politique budgétaire dans lequel le juge ne peut s’immiscer. Ce faisant, l’arrêt de fond n’a pas mentionné les considérations très fortes qui seraient susceptibles de justifier la différence de traitement en cause.

Intérêt de la décision

La Cour de cassation se livre à un important rappel des principes en matière de justification d’une différence de traitement, en sécurité sociale et particulièrement dans le cadre de l’article 4 § 1er de la loi du 27 février 1987, qui permet l’exclusion de certains étrangers du bénéfice des prestations reprises dans cette loi. Seules des considérations très fortes – à préciser par le juge du fond – seraient susceptibles d’autoriser une telle exclusion. En l’occurrence, la Cour suprême constate que le juge du fond n’a pas fait de telles constatations.

Cet arrêt intervient dans le débat sur la question de la nationalité en matière d’allocations aux personnes handicapées. Cette question avait été jusque là examinée par les juridictions du travail en sens divers, ainsi que par la Cour constitutionnelle. Celle-ci a en effet rendu plusieurs arrêts en la matière, admettant la condition de nationalité, la jugeant non discriminatoire, également au regard de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (Arrêt du 19 mai 2004, n° 92/2004, numéro du rôle 2771). Il semble que l’arrêt commenté de la Cour de cassation ne partage donc pas la position adoptée par la Cour constitutionnelle.

Notons que celle-ci a précisé sa jurisprudence dans un dernier arrêt du 12 décembre 2007 (Arrêt n°153/2007, numéro de rôle 4094), jugeant cette condition discriminatoire à l’égard des étrangers admis à s’établir en Belgique et qui sont inscrits au registre de la population, et ce en raison d’un rattachement important à la Belgique, contrairement à l’étranger qui a été autorisé à séjourner en Belgique soit pour un court séjour, soit pour un séjour de plus de trois mois et qui est par conséquent inscrit au registre des étrangers, ce qui ne démontrerait pas de lien suffisant avec la Belgique.


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