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Calcul d’une pension de retraite en cas de carrière accomplie dans deux Etats membres de l’Union européenne

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 août 2022, R.G. 2019/AB/334

Mis en ligne le mardi 28 mars 2023


Cour du travail de Bruxelles, 12 août 2022, R.G. 2019/AB/334

Terra Laboris

Dans un arrêt du 12 août 2022, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la méthode de calcul du montant d’une pension de retraite en cas de prestations (à temps partiel en l’espèce) dans plusieurs Etats membre de l’Union européenne, et ce en vue de la liquidation des prestations au sens de l’article 52 du Règlement n° 883/2004.

Les faits

Une travailleuse salariée, née en Roumanie en 1950 et arrivée en Belgique en 1990, sollicite le bénéfice de la pension de retraite. En Roumanie, elle a travaillé comme employée pendant vingt-deux ans et, ensuite, en Belgique, pendant vingt-cinq ans.

Son droit à la pension pour les prestations accomplies en Roumanie est de l’ordre de 1.900 euros par an à dater du 1er octobre 2016, ainsi que calculé par l’institution roumaine. Pour la partie belge, le Service Fédéral des Pensions a pris une décision le 20 octobre 2017, fixant la pension de retraite à un montant de l’ordre de 8.100 euros par an, à majorer d’un bonus de pension de 270 euros par mois. Le total aboutissait ainsi à un montant de 1.100 euros environ.

L’intéressée a considéré que ce montant était incorrect et a saisi le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Celui-ci a considéré le recours non fondé par jugement du 26 mars 2019.

Appel est interjeté par l’intéressée, qui demande que soit majorée sa pension annuelle, au motif des prestations accomplies dans les deux Etats.

La décision de la cour

La cour procède à l’examen de la contestation, celle-ci se mouvant dans le cadre du Règlement européen n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

En l’espèce, l’intéressée n’a pas droit à une pension complète en vertu de la législation d’un Etat membre et il faut dès lors se reporter à l’article 52 du Règlement.

Le calcul s’opère comme suit : (i) l’institution doit d’abord calculer la pension nationale (« autonome ») à partir des seules périodes d’assurance accomplies sous sa législation et (ii) elle doit ensuite calculer la pension proratisée en suivant deux étapes, étant d’abord de calculer la pension théorique (qui tient compte de toutes les périodes d’assurance comme si celles-ci avaient été accomplies en Belgique) et, ensuite, le montant effectif proratisé.

Le S.F.P. doit donc, dans une première étape, prendre en compte la pension sur la base des seules prestations accomplies en Belgique et validées en application du droit belge. Le calcul est effectué sur la base de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, selon lequel, lorsque l’employé a été occupé à temps partiel, le nombre de jours de travail est ramené le cas échéant au nombre qui aurait figuré aux comptes individuels si l’activité avait été exercée à temps plein. Le nombre de jours assimilés est le cas échéant réduit proportionnellement à la durée du temps de travail en fonction de laquelle l’assimilation a été effectuée. L’intéressée a en effet, en l’espèce, presté à temps partiel. La cour aboutit sur ce point à vingt-et-une années de carrière, sur la base des vingt-cinq années prestées.

Elle constate ensuite que l’intéressée ne justifie que de vingt ans comportant au moins deux-cent-huit jours équivalents temps plein et vingt-et-un ans comportant cent-cinquante-six jours équivalents temps plein. Il ne peut en conséquence lui être attribué de minimum garanti de pension, la cour précisant que ni le « critère strict » (deux tiers de carrière salariée avec un minimum de deux-cent-huit jours équivalents temps plein) ni le « critère souple » (deux tiers de carrière salariée pour laquelle chaque année civile comprend au moins cent-cinquante-six jours équivalents temps plein) ne sont rencontrés.

Il faut dès lors faire le calcul en fonction de la fraction des journées prestées, sur la base du dénominateur légal qui est de quatorze-mille-quatre-cent-quatre jours. Le calcul de la pension théorique, qui tient compte des quarante-sept ans de carrière, n’est pas contesté. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 16.500 euros. Celui-ci est cependant supérieur à la pension minimum garantie pour une carrière complète (13.750 euros) ainsi que pour une carrière équivalente à deux tiers de celle-ci (13.250 euros). Aussi n’y a-t-il pas lieu, pour la cour, d’appliquer les dispositions relatives à la pension minimum garantie.

Elle se tourne dès lors vers l’article 52, point 1, b), ii), du Règlement n° 883/2004, afin de calculer le montant effectif de la pension. Celui-ci dispose en effet que, sur la base du montant théorique, il faut tenir compte du prorata de la durée des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous la législation appliquée par rapport à la durée totale des périodes accomplies avant la réalisation de celui-ci sous les législations de tous les Etats membres concernés. Il s’agit dès lors de multiplier le montant théorique de la pension par une fraction : le numérateur est le nombre de journées accomplies en qualité de travailleur belge et le dénominateur le nombre total de jours d’assurance belges et roumains. L’article 52, point 3, du Règlement prévoit que le travailleur a droit au montant le plus élevé, soit celui de la pension nationale, soit celui de la pension proportionnelle.

Enfin, si la durée totale des prestations d’assurance et/ou de résidence accomplies avant la réalisation du risque en vertu des législations de tous les Etats membres concernés est supérieure à la période maximale exigée par la législation d’un de ces Etats pour le bénéfice d’une prestation complète, l’article 56, point 1, a), du même Règlement prévoit que l’institution compétente de cet Etat membre prend en compte cette période maximale au lieu de la durée totale des prestations accomplies. La cour précise que cette disposition fait référence à la législation nationale. Le droit belge prévoit à cet égard une carrière complète en principe de quarante-cinq ans. Celle-ci est la période maximale exigée pour que la prestation soit complète, ce que ne constitue pas une pension minimum garantie, qui est une prestation minimale et non complète pour une carrière incomplète. La cour conclut dès lors que c’est à bon droit que le S.F.P. a pris en compte comme dénominateur la carrière complète de quarante-cinq ans de l’intéressée et non celui de l’ensemble de sa carrière (quarante-sept ans).

Enfin, elle rejette un argument tiré de l’article 58, point 1, du Règlement, relatif à la pension minimum garantie, la pension théorique de l’intéressée étant supérieure à celle-ci. Elle précise que ce n’est que si la pension théorique avait été inférieure à la pension minimum garantie que cette disposition trouverait à s’appliquer, permettant de justifier l’octroi d’un complément.

Intérêt de la décision

Les règlements européens de coordination ne contiennent pas de disposition qui oblige l’Etat dans lequel réside un citoyen européen à payer à celui-ci une pension de retraite pour la totalité de sa carrière et, notamment, pour la partie de celle-ci accomplie dans un autre pays. Aucune disposition ne permet par ailleurs à celui-ci de réclamer, à charge de l’Etat de résidence, au moment où il est admis à la retraite, une pension calculée selon les règles en vigueur dans ce pays pour l’ensemble des prestations accomplies dans un autre Etat membre (voir notamment à cet égard, dans le cadre du Règlement n° 1408/71, C. trav. Bruxelles, 16 novembre 2017, R.G. 2016/AB/587).

En cas de carrière en Belgique et à l’étranger, il faut se référer à l’article 52 du Règlement n° 883/2004, qui impose de procéder en deux temps. C’est en application de cette disposition que la cour du travail a en l’espèce abouti à la confirmation de la justesse du calcul du S.F.P.

Pour ce qui est de la liquidation des prestations, l’article 52 prévoit le mode de calcul à suivre par l’institution compétente, tel que rappelé par la cour dans son arrêt. Son point 3 dispose expressément que l’intéressé a droit, de la part de l’institution compétente de chaque Etat membre concerné, au montant calculé le plus élevé.

Des règles anti-cumul figurent encore aux articles 53 et suivants.


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