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Limitation dans le temps des allocations d’insertion : recul pour les chômeurs de plus de cinquante ans ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 27 mars 2023, R.G. 2021/AL/588

Mis en ligne le mardi 14 novembre 2023


C. trav. Liège (div. Liège), 27 mars 2023, R.G. 2021/AL/588

Dans un arrêt du 27 mars 2023, la Cour du travail de Liège (division Liège) conclut, pour une chômeuse de plus de cinquante ans, que la limitation dans le temps des allocations d’insertion n’est pas une mesure appropriée et nécessaire, se fondant notamment sur le très faible impact budgétaire de celle-ci pour cette catégorie de bénéficiaires.

Rétroactes

Mme C. est née en novembre 1966. Elle a été admise au bénéfice des allocations d’attente (devenues allocations d’insertion) à dater du 8 novembre 1989. Elle a perdu leur bénéfice à partir du 21 décembre 2016, soit lorsqu’elle était âgée de cinquante ans et un mois, en application de l’article 63, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage tel que modifié par l’arrêté royal du 28 décembre 2011.

Elle a contesté cette décision par un recours qui a été jugé recevable et fondé par un jugement du 16 novembre 2021 du Tribunal du travail de Liège (division Liège). Faisant application du principe du standstill, le tribunal a condamné l’ONEm à verser à Mme C. les allocations d’insertion à partir du 21 décembre 2016.

L’ONEm a formé contre ce jugement un appel, que l’arrêt analysé déclare recevable mais non fondé.

L’arrêt de la cour

Pour la cour du travail, la disposition litigieuse viole l’obligation de standstill pour la catégorie à laquelle appartient Mme C., qui est celle des chômeurs âgés de cinquante ans et plus au moment où le droit aux allocations a été retiré. L’arrêt applique en conséquence l’article 63 de l’arrêté royal dans la version existant avant le 1er janvier 2012.

Pour ce faire, l’arrêt analysé rappelle tout d’abord l’arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2020 (Cass., 14 septembre 2020, n° S.18.0012.F) et les conclusions de l’Avocat général dans cette affaire (publiées sur Juportal et commentées notamment par Terra Laboris).

La cour du travail examine :

  • Si le recul est significatif. Ceci n’est pas contesté et est certain, l’arrêt précisant que la possibilité pour les assurés sociaux de se tourner vers un C.P.A.S. ne contredit pas cette conclusion, le recours à l’intégration sociale ou à l’aide sociale étant moins favorable.
  • Si le recul est justifié par un motif d’intérêt général. Il ressort du préambule de l’arrêté royal litigieux que « trois objectifs ont été poursuivis par le Roi : l’atteinte d’un taux d’emploi de 73,2%, la mise en place d’un programme de relance de l’emploi, en particulier pour les jeunes, et la réalisation d’efforts budgétaires ». Ces motifs relèvent de l’intérêt général.
  • Si la mesure est appropriée et nécessaire pour atteindre ces objectifs. A cet égard, l’arrêt relève que, contrairement à ce qui a été constaté dans le passé, l’ONEm avance des explications détaillées et dépose un dossier de pièces.

Elle examine tous les éléments invoqués par l’ONEm : Le « six pack » (pp. 11 à 13), la Décision du Conseil de l’Union européenne du 21 octobre 2010 (p. 13), le Programme national de réforme (P.N.R.) 2011 (p. 13), les Recommandations du Conseil de l’Union européenne du 12 juillet 2011 (p. 14), l’accord de gouvernement de 2011 (pp. 14 et 15), les notifications du budget 2012 (p. 16), le Programme national de réforme (P.N.R.) 2012 (pp. 16 et 17), le Rapport annuel de l’ONEm pour l’année 2011 (pp. 17 et 18), le Rapport annuel de l’ONEm pour l’année 2012 (p. 18), une question parlementaire de 2015 (pp. 18 et 19), le Rapport annuel de l’ONEm pour l’année 2015 (pp. 19 et 20), ), le Rapport annuel de l’ONEm pour l’année 2016 (p. 20), le Cahier de 2016 relatif à la sécurité sociale du Rapport de la Cour des comptes à la Chambre des représentants (pp. 20 et 21) et, enfin, le Rapport annuel de l’ONEm pour l’année 2018 (pp. 21 et 22).

Pour vérifier le caractère approprié et nécessaire du recul, la cour du travail indique qu’il convient d’être attentif à l’existence de catégories de chômeurs touchés par la réforme, l’aptitude de celle-ci à atteindre le motif d’intérêt général et sa nécessité pouvant varier en fonction de la catégorie concernée. La catégorie de chômeurs âgés de cinquante ans et plus est certes visée dans l’ensemble des analyses invoquées par l’ONEm à l’appui de sa thèse mais celui-ci n’établit pas que ce caractère est approprié et nécessaire. Ainsi, l’objectif de relance de l’emploi des jeunes n’est pas pertinent à leur égard. L’objectif d’augmentation du taux global d’emploi ne vise pas exclusivement les jeunes travailleurs, mais encore aurait-il fallu prendre en compte les spécificités de la catégorie des chômeurs âgés de cinquante ans et plus. L’ONEm reconnaît que ceux-ci ont moins de possibilités de trouver un emploi, ce que confirme son Rapport 2015. Cette mesure les prive de tout accompagnement alors que celui-ci est considéré comme un moyen d’atteindre l’objectif d’insertion et du taux d’emploi. Il n’est pas démontré que, pour cette catégorie, l’auteur de la norme a suffisamment envisagé des alternatives possibles en vue d’atteindre cet objectif avant la privation pure et simple des allocations par l’écoulement d’un délai.

Quant à l’objectif budgétaire, le Rapport 2015 démontre que, sur les 29.155 personnes ayant perdu leur droit aux allocations d’insertion en 2015, seuls 3,8% d’entre elles étaient des personnes de cinquante ans ou plus, ce qui révèle le très faible impact de la mesure à l’égard de cette catégorie : au maximum moins de 4% de l’économie réalisée, sans tenir compte des coûts en matière d’aide sociale et de revenu d’intégration sociale.

Faute pour cet organisme d’avoir démontré que la mesure était appropriée et nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis, la cour du travail n’examine donc pas le dernier point du raisonnement, étant son caractère proportionné.

Elle conclut qu’il y a lieu pour cette catégorie d’écarter l’article 9, 2°, de l’arrêté royal du 28 décembre 2011 pour violation de l’article 23 de la Constitution et d’appliquer au litige la version antérieure.

Elle ordonne la réouverture des débats pour que les parties mettent le dossier en état sur la question des conditions d’octroi des allocations d’insertion.

Intérêt de la décision

La distinction entre la catégorie des plus de cinquante ans et celle des moins de cinquante ans a été adoptée par les autres chambres de la Cour du travail de Liège (divisions Liège et Neufchâteau) sur la base d’une analyse globalement semblable des documents fournis par l’ONEm en degré d’appel.

Pour les plus de cinquante ans, voir par exemple C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 14 juin 2023, R.G. 2017/AU/55 et C. trav. Liège (div. Liège), 8 mars 2023, R.G. 2022/AL/107. Cette dernière décision rétablit dans ses droits une chômeuse née le 15 janvier 1967, admise au bénéfice des allocations d’attente le 28 janvier 1988 et qui a perdu ses droits à partir du 23 avril 2017. Cet arrêt contient également des précisions intéressantes sur le respect des conditions d’octroi autres que l’âge. Quant à l’absence d’inscription comme demandeur d’emploi, la cour rappelle notamment la circulaire interne de l’ONEm n° 31000/058/071/637000A/AM (p. 3), dont la solution a été formalisée en Région wallonne par l’article 5 du Décret du 12 novembre 2021 relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi (M.B., 7 décembre 2021, p. 116687) et citant les travaux préparatoires de ce décret (Commentaire des articles, Doc. Parl. w, Sess. ord., 2021-2022, n° 544/1, p.13). Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, le chômeur exclu des allocations (notamment d’insertion) n’est plus radié automatiquement de son inscription comme demandeur d’emploi. Il en est de même des conditions liées à la disponibilité active, le chômeur n’ayant plus à être convoqué.

Par contre, le même jour, la Cour du travail de Liège (division Liège) (R.G. 2022/AL/92) valide l’exclusion d’un chômeur né le 31 mai 1966, admis au bénéfice des allocations d’attente le 25 janvier 1990 et ayant perdu ses droits le 19 septembre 2015, ce qui nous amène à nous interroger sur la rigidité de cette distinction entre plus et moins de cinquante ans, qui a pour résultat de traiter de manière fondamentalement différente deux chômeurs qui n’ont parfois que quelques mois de différence.


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